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loi salique n’a pu s’y maintenir, et le souvenir d’Isabelle a été plus fort que la pragmatique de Philippe V. Quand l’Espagne de 1810 donna l’étrange et magnifique spectacle d’un peuple vaincu, envahi, à moitié conquis, sans gouvernement, sans autorité d’aucune espèce, procédant, sous l’occupation étrangère, au choix de ses représentans, à la formation d’une assemblée qui devait à la fois délivrer et constituer la patrie ; quand les cortès de Cadix, emprisonnées sur un banc de sable, mais délibérant avec calme au milieu du fracas des armes, entreprirent et terminèrent le grand œuvre d’une loi fondamentale qui reconstituait la société depuis ses bases, ni le peuple, ni l’assemblée ne faisaient chose nouvelle. L’un suivait ses anciens souvenirs, ses habitudes immémoriales ; l’autre rétablissait, en les coordonnant, en les mettant d’accord avec les progrès du temps, des mœurs, de la raison publique, en leur imprimant de nouveau la sanction nationale, les antiques dispositions du Fuero-Juzgo, des Partidas et autres vieilles lois de Castille et d’Aragon. Il n’y a pas, dans la constitution de 1812, qu’on prétend copiée des constitutions démocratiques françaises de 1791, de 1793 et de l’an iii, il n’y a pas une seule clause importante qui ne soit empruntée aux vieux codes et aux anciens fueros de l’Espagne. C’est ce que j’ai démontré ailleurs[1] par l’analyse de cette œuvre des législateurs de 1812 ; c’est ce qu’ils déclarent eux-mêmes formellement dans son préambule : « Les cortès générales de la nation espagnole, y est-il dit, bien convaincues, après le plus long examen et la plus mûre délibération, que les anciennes lois fondamentales de cette monarchie, accompagnées des mesures et précautions qui garantissent d’une manière stable et permanente leur entier accomplissement, peuvent duement remplir le grand objet d’assurer la gloire et la prospérité de la nation, décrètent la constitution suivante… »

Au contraire, l’embryon de charte appelé statut royal, que la constitution de 1812 vient de renverser, n’était qu’un second et malheureux plagiat de la loi anglaise. Pour la première fois, l’Espagne abandonnait ses antiques formes représentatives pour recourir à des modèles étrangers. Dans le statut royal, tout était

  1. Études sur l’histoire des institutions, de la littérature, du théâtre et des beaux-arts en Espagne, pag. 81 suiv.