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DE L’ESPAGNE.

soin de l’immobilité, s’effraient de toute agitation, et consacrent sans relâche leur influence au maintien de l’ordre existant. Pourquoi l’Espagne aurait-elle redouté une révolution ? Les blés des Castilles, les vignes de la Manche, les oliviers de l’Andalousie, les troupeaux de l’Estramadure, n’en fourniront pas moins aux minces nécessités de ses habitans : c’est là leur dernier souci. À côté des besoins matériels, il n’est qu’un seul intérêt qui puisse peser de quelque poids dans les affaires publiques, et celui-là, précisément, tend aussi fort au changement et à l’instabilité que d’autres intérêts, dans d’autres pays, tendent à la conservation. En Espagne, par des raisons qu’il serait trop long de développer ici, les professions indépendantes sont rares et peu recherchées ; au contraire, tout le monde veut des places. Au lieu d’attendre son existence et sa fortune des chances qu’offre le talent ou l’industrie, on préfère la vie commode que donnent des émolumens fixes. Le nombre des employés est immense, celui des solliciteurs égal, et l’on peut dire de l’Espagne, plus que d’aucun autre pays, qu’il y a deux nations, l’une payée, l’autre payante. Dans ce conflit de gens qui occupent les emplois, ou qui en ont été chassés, ou qui veulent y parvenir, dans cette guerre que se livrent les intérêts personnels sous le masque des opinions, il n’y a point de place pour l’indécision et la tiédeur. On ne parvient que par le dévouement vrai ou simulé à un parti ; on ne se soutient qu’aux mêmes conditions, et bientôt, soit pour conserver un emploi, soit pour en déposséder autrui, on se trouve engagé dans les rangs extrêmes de l’opinion qu’on a choisie. Ceux qui connaissent un peu l’Espagne ne nieront point l’exactitude de cette situation spéciale.

Enfin, le système modérateur, imité du juste-milieu français, n’était pas plus conforme aux habitudes et aux souvenirs historiques d’un pays, où toute institution, lente à s’établir, jette d’indestructibles racines, où il faut chercher l’origine de tout usage politique dans les municipalités romaines et les conciles des Goths. On conçoit, à la rigueur, qu’après les quinze années de la restauration, la France de 1830 ait de nouveau tenté l’essai d’une charte qu’on n’appelait plus octroyée, mais consentie, et que ses législateurs prétendaient avoir, en une séance, suffisamment améliorée. Mais la masse des Espagnols, qui n’ont pas étudié les