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LES RÉPUBLIQUES MEXICAINES.

ratrice, ou de la foi. Dès que le succès devient probable, les gens du parti contraire changent de bannière ; s’il y a dans le camp ennemi quelque chef qui fasse mine de vouloir tenir bon pour l’ordre de choses existant, on cherche à le gagner à prix d’argent, et il est bien rare que quelques milliers de piastres ne triomphent pas de sa résistance. C’est avec de tels élémens que l’armée marche de succès en succès ; on triomphe, et notre sergent, devenu réellement colonel ou général, est proclamé sauveur de la liberté, héros immortel, citoyen bene merito de la patria en grado heroico. Voilà, dans toute l’exactitude des faits, ce que c’est qu’une révolution au Mexique ; voilà par quels moyens un danseur de corde[1], quelquefois un voleur de grand chemin[2] sont arrivés aux premières dignités de la république. Chacun peut goûter de la présidence ou du généralat, et d’autant plus facilement que ceux qui doivent à quelque mouvement populaire le poste éminent qu’ils occupent, sont bientôt renversés par un nouveau bouleversement qui laisse le champ libre à d’autres. Et comment n’en serait-il pas ainsi, quand dix mille concurrens se disputent la même place ? Aussi devient-elle l’objet des plus honteuses manœuvres. Pour y arriver, tous les moyens sont mis en jeu, la séduction, l’argent, la prostitution, les intrigues les plus dégoûtantes, les plus infâmes trahisons, le poignard même ; ceux qui savent le mieux en tirer parti passent pour muchachos vivos, des garçons de talent, et la nation n’est nullement effrayée de voir parmi ses excelentisimos senores generales, des hommes qui, chez nous, traîneraient le boulet dans un bagne ; le succès justifie tout.

On sent que la conséquence d’un tel état de choses doit être une corruption générale dans toutes les classes de la société. En effet, c’est un débordement de vices effroyables ; le vol et l’assassinat se commettent impunément, non-seulement parmi le peuple, mais dans la gente decente ; il n’est point de ville où l’on ne voie se promener dans les rues et marcher, tête levée, des misérables dont la conscience est chargée de huit ou dix assassinats. Et qu’on ne croie pas qu’ils en soient moins estimés ; il est très ordinaire d’en-

  1. Le général M…, l’un des généraux les plus renommés du Mexique, dansait sur la corde, il y a quelques années, à la Nouvelle-Orléans.
  2. Les généraux Tolsa et Angon sont connus de tout le Mexique pour avoir été chefs de voleurs.