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tendre dire : don un tel a assassiné dix personnes. Le peuple mexicain ignore ces vertus qui font la base de la société humaine ; n’attendez de lui ni bonne foi, ni confiance, ni délicatesse dans les rapports ordinaires de la vie. Ainsi, vous laissez vos effets en dépôt chez une personne que vous croyez sûre ; quand vous vous présentez pour réclamer ce qui vous appartient, vos effets ont été vendus. Un homme qui se prétend et que vous croyez votre ami vous emprunte pour un instant, dit-il, votre montre ou quelque autre objet de prix, il court le jouer, et qu’il gagne ou qu’il perde, vous n’en avez plus de nouvelles. Ce sont là des espiègleries qu’il serait ridicule de trouver mauvaises. Êtes-vous négociant, marchand, industriel, et voulez-vous dans une foire étaler vos marchandises en public, ne manquez pas de faire veiller votre boutique par deux ou trois soldats que vous paierez largement ; autrement, en un clin d’œil, vous serez dévalisé, car là il n’y a ni police ni sergens de ville pour protéger les personnes et les propriétés. Gardez-vous d’avoir jamais de procès avec personne : si vous n’êtes assez riche pour acheter les juges, vous aurez tort. Voyagez-vous pour vos affaires ou votre plaisir, ayez la précaution de vous munir d’un sabre bien affilé, d’une paire de pistolets, d’un fusil ; car vous allez avoir bientôt affaire aux héros de grand chemin. Surtout tenez-vous en garde contre le domestique qui vous accompagne ; dès qu’il en trouvera l’occasion, il vous pillera, et fera mieux encore s’il le peut. Vos armes seules feront votre sûreté.

Dans les rues, vos yeux sont chaque jour frappés du hideux spectacle de cadavres qu’on emporte tout sanglans, car là on se donne un coup de poignard, comme un coup de poing chez une autre nation, publiquement, en plein jour. Quand un homme tombe assassiné dans la rue, la foule se rassemble, et en attendant qu’on relève le cadavre, les amateurs réunis en cercle décident si les coups ont été bien portés, et s’ils méritent l’approbation des connaisseurs. Si, en passant, vous demandez la cause de ce rassemblement : Nada es, senor, es una muerticida ; ce n’est rien, seigneur, c’est un petit meurtre, vous répond-on avec beaucoup de sang-froid. Ces scènes n’excitent pas la moindre émotion parmi les spectateurs. Souvent même l’assassin ne prend pas la peine de se cacher ou de s’enfuir ; il se laisse tranquillement arrêter, car il sait qu’il en sera quitte pour quelques jours de pri-