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LES RÉPUBLIQUES MEXICAINES.

débuts du général-président. Voici deux faits qui pourront donner la mesure de l’estime qu’il a pour son héroïque personne. Lorsqu’il assiégeait Mexico, il y a deux ans, un Anglais de distinction désira le voir ; le général le reçut sur un balcon d’où l’on découvrait toute la capitale. Après quelques momens de conversation, se tournant vers l’étranger : « Ne trouvez-vous pas que je ressemble ici à Napoléon au Kremlin ? » lui demanda-t-il naïvement. Il disait après le combat de Zacatécas : « On parle beaucoup de la bataille d’Iéna, mais, en vérité, elle n’est pas à comparer avec celle de Zacatécas. » Or, disons un mot de cette bataille de Zacatécas, gagnée par le moderne Napoléon. De tous les états mexicains, l’état de Zacatécas était le plus tranquille. Depuis long-temps il avait su se préserver des révolutions qui déchirent les pays voisins. Occupé de l’exploitation de ses mines fécondes, il fleurissait dans un état de prospérité qui déplut à Santa-Anna ; il fallait qu’il vînt le bouleverser. Ceux de Zacatécas voulurent repousser une injuste agression ; mais ils furent trahis. Dans cette mémorable journée, que les Mexicains placent en première ligne dans leurs fastes militaires, il périt environ cent hommes, dont les deux tiers furent massacrés, car Santa-Anna avait donné ordre qu’on fit main basse sur tous les officiers. Tel est l’homme ! el nuestro Napoleone, comme disent les Mexicains. En Europe el immortal Santa-Anna, el Marte mexicano, el invicto heroe (épithètes que les journaux mexicains ont répétées jusqu’à satiété) ne serait pas capable de commander deux cents hommes ! Qu’on n’oublie pas que s’il est parvenu aux premières fonctions de la république, c’est que dans ce pays chacun peut y arriver par les moyens dont il s’est servi, les révolutions, l’intrigue, la fourberie et la trahison. Santa-Anna passe à dormir les deux tiers de sa vie. Jamais, dans son intérieur, on ne l’a vu un livre à la main, jamais on ne l’a vu chercher à s’instruire en quoi que ce fût ; il dit modestement que la nature l’a doué d’un génie et de dispositions auxquels l’étude, l’instruction et la lecture ne pourraient rien ajouter. Le principal divertissement de son excellence, ce sont les combats de coqs ; mais comme il a l’habitude de refuser de payer quand le coq qu’il fait combattre est vaincu, les amateurs ne se soucient pas d’entrer en lice avec lui. L’avarice est une de ses qualités, mais une avarice poussée jusqu’à la plus dégoûtante lésinerie. Quand il est à table avec ses officiers, il a devant lui