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derniers, l’argent doit être réputé, théoriquement au moins, un vil métal. L’honneur et la gloire y sont de plus puissans et de plus habituels mobiles que l’intérêt ; c’est la monnaie dont beaucoup de gens se contentent, la seule que plusieurs ambitionnent. Dans une société travaillante, l’argent, fruit et objet du travail, ne sent pas mauvais ; la richesse d’un homme est la mesure de sa capacité et de la considération que ses concitoyens lui accordent.

Quelle qu’en soit la cause, il est certain qu’ici l’argent n’est pas ce qu’il est chez nous, qu’il pèse là où chez nous il n’a pas de poids ; qu’il intervient franchement là où chez nous il se cache.

Déjà, en Angleterre, j’étais étonné de voir de nombreux écriteaux dans les docks, par exemple, menacer d’amende les délinquans à certaines règles de police, avec promesse de moitié pour le dénonciateur. Le sang bouillonnerait dans nos veines si un préfet de police offrait ainsi une prime à la dénonciation. Ici l’on fait comme en Angleterre : on use même plus souvent encore de ce procédé. Lorsqu’un crime est commis, l’autorité s’empresse de faire afficher que 100 ou 200 dollars seront comptés à qui en dénoncera ou en livrera les auteurs. J’ai vu, à Philadelphie, le gouverneur de Pensylvanie et le maire de la ville rivaliser de promesses et enchérir l’un sur l’autre. Un assassinat avait été commis dans une élection préparatoire ; le maire et le gouverneur s’efforçaient de prouver, par l’élévation de leur offre, l’un, que le parti de l’opposition, auquel il appartenait, était innocent du meurtre, l’autre, au contraire, que c’était ce parti qui l’avait provoqué. Dans certains cas d’incendie et d’empoisonnement, la prime a été portée à 1,000 dollars. Il faut dire qu’en Angleterre (Londres excepté) et en Amérique il n’y a pas de police organisée comme chez nous ; il est donc indispensable que les citoyens la fassent eux-mêmes.

Ici, la règle est que tout se paie. Les musées gratuits et les institutions gratuites de haut enseignement sont inconnus. On ne connaît pas davantage ces fonctions gratuites qui détournent un citoyen de ses affaires, et le mettraient, s’il voulait fidèlement les remplir, dans l’impossibilité de subvenir à l’entretien de sa famille. Les fonctions municipales des campagnes ne sont pas salariées, parce qu’elles réclament peu de soins et de temps, et parce que l’homme des campagnes a plus de momens disponibles que