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DESDEMONA.

Qui, sur le sol mouvant, emportait votre vie.
Derrière le clavier il se tenait debout,
Attendant, pour chanter avec vous sa partie,
Un regard de vos yeux. — Il te suivait partout.
Au théâtre il jouait avec toi chaque rôle.
Il serrait dans sa main tes deux mains en sueur ;
Ses lèvres effleuraient souvent ta blanche épaule ;
Puis dans un grand manteau, caché parmi le chœur,
Il t’écoutait chanter la romance du saule.
Et tandis que nous tous, les jeunes et les vieux,
Ravis de tant d’amour, et de grace et de peine,
Nous sentions naître en nous cette pitié sereine
Qui fait, par des sentiers frais et mystérieux,
Que les larmes du cœur nous montent dans les yeux,
Et te confondions tous, en nos sombres idées
(Tant étaient vrais et beaux les gestes de ton corps,
Tant les pleurs qui tombaient de tes yeux par ondées
Coulaient naïvement à terre et sans efforts),
Avec Desdemona, l’épouse de Venise,
Que le Maure brutal étouffe en ses transports :
Toi, pâle jeune femme, en ta douleur assise,
Et qui semblais lutter une dernière fois
Avec le don fatal de l’ame et de la voix ;
Lui, joyeux au milieu de la douleur publique,
S’enivrait à loisir de la belle musique,
Qui, par d’âpres sentiers que tu ne voyais pas,
Chaque jour un peu plus te poussait dans ses bras.
Cependant, jeune femme, il t’aimait en silence,
Il contemplait souvent, durant de longues nuits,
Comme une belle fleur que la brise balance,
La rose de tes jours que le vent des ennuis
Secouait tristement sur sa fragile tige.
Il t’aimait, jeune femme, et c’est vraiment prodige,
Lorsque tu traversais quelque beau groupe oisif,