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assailli de cris : à la camarilla ! Voici un fait récent qui donnera la mesure des procédés de gouvernement introduits par le général : depuis le commencement de 1836, les États-Unis sont en guerre contre de pauvres peuplades indiennes de Creeks et de Séminoles, et cette guerre n’en finit pas. Le commandement des forces américaines avait été confié à un brave militaire, le général Scott, qui n’a point été heureux ; il n’a point éprouvé de revers, mais il n’a pu joindre l’ennemi et le réduire. Le général Scott avait sous ses ordres le général Jessup, chef de l’intendance (quarter-master general) ; celui-ci, à Washington, était voisin et ami de M. Blair, le rédacteur du Globe, journal du général Jackson. M. Blair est l’un des habitués de la Maison Blanche[1], l’un des compagnons, ou, comme on dit aux États-Unis, des courtisans du général. Du théâtre de la guerre, le général Jessup a adressé à son ami, M. Blair, une lettre où il accusait son supérieur, le général Scott. M. Blair a montré la lettre au président, et celui-ci, sans plus de façon, a écrit aussitôt sur la lettre même : « Renvoyé au ministre de la guerre. — Le général Scott est destitué ; le général Jessup est nommé à sa place. » C’est ainsi que gouvernait le calife Aaroun-al-Raschid, qui était certainement un grand prince, mais qui n’était rien moins que constitutionnel.

Dans sa vie privée, le général est fort réglé et fort sobre, d’une simplicité extrême ; il reçoit quiconque veut entrer chez lui, excepté quand ce sont des négocians de New-York ou de Philadelphie désireux de lui parler en faveur de la Banque. Il cause familièrement avec tous ; il est fort à l’aise avec les hommes les plus grossiers et les plus communs. En voyage, il lui arrive maintes fois de descendre de sa voiture dans les tavernes, et de tenir la conversation en fumant, entouré des passans qui s’arrêtent, et en médisant sans gêne de ses adversaires, de M. Clay, son compétiteur à la présidence en 1824 et en 1832 ; de M. Poindexter, du Mississipi, qui lui rend avec usure ses injures dans les journaux. Chose remarquable, même au milieu d’un cercle de rustres, en compagnie desquels il déchire ses ennemis, il sait se faire respecter. Haut de taille, avec une belle tête garnie d’épais cheveux blancs qui se hérissent comme une crinière, et une physionomie qui plaît et qui impose en même temps, il commande les égards de tout

  1. C’est le nom de l’habitation présidentielle à Washington.