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REVUE ÉTRANGÈRE.

pour guérir les cœurs meurtris par la raillerie de Candide et par le matérialisme de la révolution.

Le livre de l’Allemagne fut écrit sous cette influence. On voit que Mme de Staël est partout poursuivie par le fantôme ridé de Voltaire. Elle se précipite loin de cette tyrannie railleuse aux pieds des jeunes autels de la muse allemande. Cet ouvrage est la prière d’une ame exilée qui demande un refuge dans l’univers moral ; c’est l’improvisation éolienne de Corinne au bord du Rhin. Ce n’est pas, on le sait bien, une peinture exacte et méthodique. Pas un objet n’est dépeint tel qu’il est en réalité ; il est vu avec trop d’adoration pour cela. Mais cette adoration même n’est-elle pas un évènement véritable qui a des rapports avec toutes les affections de cette époque ? Quelle reconnaissance ! Quelle bénédiction ! Quel amour pour ces doctrines d’idéalisme, même avant d’en connaître le fond ! Quel cantique d’enthousiasme en se sentant renaître ! L’exaltation de Mme de Staël pour l’idéalisme allemand ressemble à l’exaltation ascétique des saintes pour le Christ sauveur. Sa langue est quelquefois la même que celle de sainte Thérèse, car on y sent comme la révélation d’un continuel prodige. Elle ne s’explique nulle part les poètes et les héros de la philosophie par les causes naturelles de l’histoire, de la tradition, de la langue. Ces poètes et ces philosophes semblent, au contraire, dans son livre, agir, penser, écrire en vertu d’un miracle intérieur qui n’a lieu que pour eux. En un mot, c’est la langue de l’amour substituée aux aphorismes de la critique.

C’est aussi là ce que les Allemands n’ont jamais voulu admettre. Parce qu’ils ne se reconnaissaient pas dans ce livre, ils l’ont trop souvent considéré comme un tableau de pure fantaisie. Ils n’ont su comment jouer le rôle fantastique que cette admiration fougueuse leur imposait, et ils ont été embarrassés par le persiflage mêlé à leur apothéose. Accoutumés à donner peu d’attention aux ouvrages écrits par des femmes, l’arrivée de Mme de Staël au milieu des écoles métaphysiques leur a paru long-temps un scandale ; on s’aperçoit trop par les correspondances posthumes qu’ils n’ont vu très clairement en elle qu’une bonne femme, die gute fraü, dont ils agréent la passion avec une complaisance débonnaire.

Sous la restauration, la France continua d’étudier avec vénération et soumission profonde la philosophie et la poésie allemande.