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Page:Revue des Deux Mondes - 1836 - tome 8.djvu/201

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THÉÂTRE FRANÇAIS.

premières scènes. Marie, par une destinée commune, est forcée de choisir entre son père et son amant, c’est-à-dire de sacrifier l’avenir et la fortune de son père à l’accomplissement de ses rêves, ou de réduire son père à la misère et au déshonneur en épousant son amant. Dans la société où nous vivons, l’argent est une chose de si haute importance, qu’il gouverne despotiquement la plupart des familles. Sans doute il serait permis de discuter la légitimité du sacrifice que Marie croit devoir s’imposer ; sans doute, ayant à choisir entre un homme qu’elle n’aime pas, mais qui peut d’un mot relever le crédit de son père, et un homme qu’elle aime, mais qui n’a que le bonheur à lui offrir, Marie a le droit d’hésiter sans impiété. Puisque nos institutions ont fait du mariage un contrat indissoluble, le mariage est l’action la plus sérieuse de la vie, et il semble qu’un homme loyal, même pour relever son crédit, doit hésiter à sacrifier la vie entière de sa fille. Mais dans l’ordre des idées mondaines, le crédit d’une maison passe avant le bonheur, ou plutôt le crédit résume le bonheur. Quoique le père de Marie ait la faculté de reconstruire sur des bases nouvelles sa fortune ébranlée, tandis que sa fille, une fois engagée, ne pourra rêver qu’un bonheur coupable, cependant je conçois que Marie, entraînée par son imprévoyance, place dans sa force personnelle une confiance exagérée, foule aux pieds son amour, et donne sa main à l’homme qu’elle connaît à peine, pour sauver son père de la ruine. Cette abnégation, si douloureuse qu’elle soit, n’est pourtant qu’un évènement vulgaire, et pourrait expliquer la destinée d’un grand nombre de ménages. Mais pour qu’un pareil évènement réussît à nous intéresser, il faudrait que Marie témoignât par quelques paroles bien simples et bien vraies la faculté d’aimer et de souffrir. Or, dans la pièce de Mme Ancelot, Marie est plutôt aimable qu’aimante ; elle a de la grace, de l’élégance, mais une sensibilité plus que tiède ; elle parle de celui qu’elle aime en termes très convenables, mais elle ne semble pas émue et n’émeut personne. Son père et son amant la préoccupent tour à tour ; mais ses espérances et ses angoisses sont pour elle un sujet de conversation, et ne paraissent pas un seul instant la dominer. Qu’arrive-t-il ? c’est que Marie, en renonçant à son amant, nous semble accomplir une action presque indifférente ; elle se résigne si vite et après une lutte si paisible, que l’oubli du bonheur perdu semble inévitable.