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THÉÂTRE FRANÇAIS.

deux mois à Bade avec une amie de sa mère, et pendant deux mois elle a vu chaque jour celui que sa mère se prépare à épouser. Marie ne soupçonne pas le malheur qui la menace, et rejette comme absurdes les avertissemens de son amie ; elle est sûre de celui qu’elle a choisi, elle ne veut rien entendre. Lorsqu’enfin l’évidence vient dessiller ses yeux, lorsque le doute n’est plus possible, Marie comprend qu’elle doit s’imposer un nouveau sacrifice. L’amant qu’elle avait abandonné pour relever la fortune de son père, à qui elle a résisté tant qu’a vécu son mari, il faut aujourd’hui qu’elle le perde sans retour, si elle ne veut pas fonder son bonheur sur le désespoir de sa fille. Certes, c’est là une cruelle souffrance, mais non pas celle que nous attendions. La lutte sur laquelle nous avions compté pouvait très bien se passer d’un nouvel acteur. Le mari, et l’amant suffisaient à défrayer trois actes.

Le père de Marie, M. Serigny, est malheureusement un personnage très vulgaire. Nous avons beau croire à sa probité, nous suivons d’un œil indifférent les spéculations qu’il a entreprises. La tendresse verbeuse qu’il témoigne à sa fille, pourrait, sans injustice, passer pour de l’égoïsme, car il sait l’amour de Marie pour un jeune homme qu’il reçoit chez lui chaque jour ; il sait que la passion est égale des deux côtés, et il accepte, sans hésiter, le sacrifice que sa fille lui propose. Il ne cherche pas un seul instant à dompter l’adversité par lui-même ou avec le secours d’un ami désintéressé : il lui semble tout simple que sa fille se donne en remboursement, qu’elle livre sa vie entière à l’homme qu’elle n’aime pas, comme elle laisserait prendre hypothèque sur un bois ou une ferme. La tranquillité singulière avec laquelle M. Serigny souscrit au dévouement de sa fille imprime à tout ce rôle une physionomie presque odieuse. Comment concevoir un père sans sollicitude pour le bonheur et l’avenir de sa fille ? Comment approuver un homme qui ne voit dans un serment irrévocable, dans un engagement indissoluble, qu’une action sans importance, à peine digne d’un remerciement ? Si M. Serigny ne connaissait pas l’amour de sa fille pour Charles, je m’expliquerais facilement sa conduite ; mais il a lu dans le cœur de Marie, et, pour peu qu’il ait vécu dans le monde, il prévoit l’avenir que sa fille se prépare en épousant un homme qu’elle n’aime pas. Il sait à quelles conditions se