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THÉÂTRE FRANÇAIS.

spectateurs ? S’est-elle résignée au style spirituel, tout en protestant contre le mauvais goût de son auditoire ? Je ne sais, mais cette conjecture n’a rien de téméraire. Pour ma part, je l’avoue, j’eusse mieux aimé entendre un langage en harmonie avec les sentimens de l’héroïne. Le premier jour peut-être les applaudissemens n’auraient pas été aussi nombreux ; néanmoins le succès, quoique moins prompt, eût été plus sûr. Comme les comédies intéressantes ne menacent pas d’envahir la scène, le public serait revenu entendre Marie, et se fût prêté de bonne grace à la simplicité des pensées et du style.

Tout en reconnaissant le mérite humain de cette pièce, nous sommes loin de nous abuser sur la portée de l’ouvrage. Une douzaine de comédies pareilles ne changeraient en rien l’état de l’art dramatique. Si nous voulions remonter à la cause première des applaudissemens, ce n’est pas à l’admiration qu’il faudrait rapporter le succès de Marie, mais bien au souvenir des pièces furibondes et fausses qui, depuis sept ou huit ans, essaient de remplacer l’émotion par la curiosité. Le triomphe de Mme Ancelot, car sans doute ses amis parleront de son triomphe, n’est pas un triomphe littéraire, et l’auteur sera le premier à le comprendre. Nous avons vu tant de tragédies menteuses, tant de héros sans cœur, et qui n’appartenaient à l’humanité que par le casque et la cuirasse, nous sommes si las d’assister à la violation de l’histoire et de la raison, que les pièces de la famille de Marie sont pour nous une halte salutaire et presque joyeuse. Le vin que nous buvons ne vient ni de Chypre ni de Malvoisie ; mais le vin sans nom que nous avons bu nous a si bien brûlé le gosier, que nous dirions volontiers merci pour un verre d’eau. En nous exprimant avec cette franchise, nous ne voulons pas nier absolument la valeur de Marie ; notre intention est seulement d’expliquer l’origine des applaudissemens que nous avons entendus. Si les spectateurs avaient le temps de se consulter et d’analyser les impressions qu’ils éprouvent, ils verraient que leur mémoire est de moitié dans leur plaisir.

Mme Ancelot, en écrivant sa comédie, n’a sans doute pas songé à tenter une réaction ; nous sommes loin de lui prêter cette pensée ambitieuse. Volontaire ou involontaire cependant, la réaction est réelle. Je ne pense pas que Marie arrête les progrès du drame pit-