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REVUE LITTÉRAIRE.

D’ailleurs, quoiqu’il ne dût s’agir que du redressement d’un arrêt individuel et isolé, c’est toute la modeste magistrature dont vous n’êtes qu’un très humble membre qui est traduite en cour de cassation et mise sur la sellette. Car le poète irrité ne s’abaisse pas jusqu’à prendre votre dispositif corps à corps, et à en discuter les considérans ; il voit les choses de plus haut et plus dédaigneusement ; à ses yeux, ce n’est pas le critique qui a tort, c’est la critique tout entière, ce sont les critiques en bloc. Ainsi les critiques n’ont pas eu la force de mesurer son œuvre et d’en faire le tour. Pygmées qu’ils sont, ils la jugent sur la face incomplète qu’ils en ont aperçue. Les critiques sont la mauvaise herbe de la littérature, une ivraie stérile qui voudrait étouffer la fécondité du génie ; enfin, en thèse générale, ils n’ont pas d’autre mobile que l’envie et l’impuissance. Ce sont la plupart de pauvres auteurs jadis sifflés ; ils ont en portefeuille des douzaines de drames et de romans disponibles, et c’est pourquoi ils dénigrent malicieusement tout auteur favorisé qui s’est acquis un théâtre et des éditeurs.

Aussi gravement récusée par les préfaces mécontentes, la critique devra-t-elle leur laisser la place et reconnaître elle-même son incompétence ? Ce n’est pas notre avis. Si la critique a quelque tort réel à se reprocher, certes ce n’est pas l’excessive rigueur ; c’est plutôt l’extrême complaisance. N’est-ce pas en effet la coupable indulgence qui a seule élevé et nourri toutes ces petites réputations si superbes, ingrates créatures qui s’efforcent aujourd’hui de battre leur nourrice ? Le remède au mal ne sera que dans un retour sévère à l’inflexible justice. Plus de faiblesse désormais. Plus d’encourageantes paroles prodiguées à de minces espérances de talent. Rien qu’une exacte et austère impartialité vis-à-vis de tous. Ces grands auteurs s’abusent assurément. La circonférence de leur œuvre n’est pas si incommensurable qu’ils le veulent bien croire. On en peut faire encore le tour assez vite sans être très bon marcheur et sans perdre haleine. Se fût-on essayé malheureusement au théâtre ; eût-on sagement relégué de médiocres romans dans son portefeuille, on n’est pas envieux pour cela. On a confessé de bonne grace son impuissance à créer ; en serait-on moins apte à estimer les créations des autres ? Tout au contraire, on est meilleur juge et à meilleur titre. Nous admettons volontiers ces vieilles maximes du code littéraire : que la critique est aisée et l’art difficile ; — que jamais critique n’a tué un bon livre ; — mais nous demandons en revanche qu’il soit bien établi et reconnu que jamais préface n’a tué une juste critique.

M. Frédéric Soulié est du nombre de ces écrivains ombrageux qui se forgent eux-mêmes des détracteurs et des Zoïles. M. Frédéric Soulié a-t-il donc tant à se plaindre de la critique ? N’est-ce pas elle qui a loué