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L’ESPAGNE AU DIX-NEUVIÈME SIÈCLE.

Le décret de celle-ci avait été adressé à toutes les juntes provinciales, qui parurent mettre autant d’empressement à convoquer les assemblées de paroisse, que de répugnance à adjoindre aux membres élus ceux des ordres privilégiés. Peu d’évêques étaient en mesure d’affronter en ces temps les périls d’un voyage à l’extrémité de l’Espagne envahie ; et quant à la grandesse, corporation de fraîche date qui n’avait jamais joui d’aucun droit politique, ses membres, personnellement peu connus, étaient si loin d’avoir hérité dans l’opinion des prérogatives de l’antique noblesse qui siégeait aux cortès de Castille et d’Aragon, que les prescriptions de la junte à leur égard demeurèrent inexécutées, beaucoup moins par un concert d’intentions que par l’effet d’une universelle inertie. D’ailleurs, plusieurs, entre les plus distingués des prélats et des grands, avaient directement reçu le mandat législatif ; et les idées constitutionnelles étaient si peu avancées en ce pays, que cela parut suffire pour garantir tous les droits, et que ceux-là même qui étaient favorables au maintien des trois estamentos comme hommage au passé de l’Espagne, ne se préoccupèrent point du danger de livrer son avenir aux entraînemens d’une assemblée unique.

Ce qu’il y a de plus étrange dans cet oubli complet où l’opinion laissa les corps privilégiés, sans que ceux-ci songeassent à réclamer, c’est que la régence, consultant les membres du conseil de Castille et le conseil d’état, corporations où dominait l’esprit de la vieille magistrature et de la noblesse, la majorité émit l’avis que les cortès extraordinaires devaient fermer une seule chambre, et procéder d’un même principe électif. Enfin, il est impossible de ne pas reconnaître que si, dans le cours de leurs travaux, les cortès soulevèrent contre elles bien des intérêts et bien des objections, il n’arriva jamais, jusqu’à la restauration, de contester la légitimité de leur mandat, à raison de l’absence des deux premiers ordres.

Cette indifférence ne s’explique pas facilement quant au clergé, dont le concours était indispensable pour modifier l’ancienne organisation, en ce qui concernait les rapports de l’état avec l’église et l’existence sociale de ses ministres, et pour faire accepter ces modifications à la conscience des peuples. Mais quiconque comprend l’Espagne, devra peu s’étonner de l’oubli où tomba en cette solennelle circonstance le corps des grands, qui ne s’est relevé plus tard à la chambre des procerès qu’en se confondant avec l’élite des notabilités civiles et militaires. Ce repoussement, ou pour parler plus juste, cette indifférence prenait moins sa source dans des théories démocratiques que dans un certain orgueil nobiliaire répandu dans ce royaume, où l’aristocratie de cour était depuis des siècles sans nulle prérogative sociale, et où la noblesse de race est une prétention à peu près universelle.