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L’ESPAGNE AU DIX-NEUVIÈME SIÈCLE.

satisfaction à cet universel besoin des sociétés modernes, le gouvernement constitutionnel était fort, car il marchait dans le sens de son principe.

Modifier profondément la législation civile, rendre à la circulation des masses énormes de propriétés substituées, en corrigeant des lois qui ruinaient les familles aux mains desquelles elles maintenaient des immeubles sans nulle valeur ; négocier avec Rome une réforme qui, sans toucher aux droits spirituels de l’église, donnerait au clergé une attitude nouvelle, et supprimerait graduellement ce qui, n’étant plus un objet d’édification, était devenu une pierre de scandale ; refondre le système financier pour donner des gages à la confiance publique ; soumettre les provinces au droit commun, en combinant un large système de libertés locales avec l’unité de l’administration ; préparer l’émancipation intellectuelle du pays en réglant avec prudence la liberté de la presse ; ne pas imiter enfin, dans ses précipitations et ses violences, un gouvernement qu’elles avaient perdu : telle était pour les cortès cette mission providentielle que tout pouvoir reçoit des circonstances qui l’ont fait naître.

La chute du régime de camarilla, l’adhésion de l’Espagne à une constitution qu’elle connaissait à peine, s’expliquent par cette vague espérance. Elle attendait cette liberté réglée par l’ordre, qui n’est un lieu commun de la langue politique que parce qu’elle est le vœu constant des nations. La Péninsule n’aspirait point à passer de l’atonie à la fièvre cérébrale ; et en laissant tomber le gouvernement des valets de chambre, la démagogie de la Puerta del Sol, les discours incendiaires de la Fontana d’Oro et du club Landaburu étaient fort loin de sa pensée.

Ses représentans, nommés partout avec enthousiasme et avec ordre, selon le mode compliqué de 1812, portèrent, pour la plupart, à Madrid des convictions analogues. Si des théories absolues étaient restées dans bien des têtes, si de longs ressentimens avaient fait couver la vengeance au fond de bien des ames, il est des instans solennels où tout semble s’oublier, parce qu’on est à son insu dominé par une vue plus générale et plus haute. Mais que celle-ci vienne à s’éclipser devant un obstacle qui surgit ou une méfiance qu’on fait naître ; que l’opinion publique, constante au fond dans ses vœux, mais incertaine dans sa marche, faiblisse un jour devant les partis, dont l’unique étude est de la contraindre au silence, alors les passions individuelles reprennent leur cours, et les assemblées, où la majorité a commencé par être saine, deviennent des conventions ; alors on va vite du 10 août au 21 janvier, du 21 janvier au 31 mai.

Telle eût été, on peut le croire, l’issue du mouvement parlementaire en Espagne, quoiqu’il eût commencé par donner la majorité aux Martinez de la Rosa et aux Toreno, noms honorables, qui, malgré quelques fautes,