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j’apprendrais cela, et bien d’autres choses encore, que je risque fort de ne savoir jamais mieux que la plupart de ceux qui en parlent et en décident. Ce que je sais, c’est que cette ligne de feux, établis comme des signaux tout le long du ravin, m’offrit, au milieu de la nuit, un spectacle magnifique. Ils perçaient de taches rouges et de colonnes de fumée noire le rideau de vapeur d’argent où la vallée était entièrement plongée et perdue. Au-dessus des feux, au-dessus de la fumée et de la brume, la chaîne du Mont-Blanc montrait une de ses dernières ceintures granitiques, noire comme l’encre et couronnée de neige. Ces plans fantastiques du tableau semblaient nager dans le vide. Sur quelques cimes, que le vent avait balayées, apparaissaient dans un firmament pur et froid de larges étoiles. Ces pics de montagnes, élevant dans l’éther un horizon noir et resserré, faisaient paraître les astres étincelans. L’œil sanglant du Taureau, le farouche Aldébaran, s’élevait au-dessus d’une sombre aiguille de granit, qui semblait le soupirail de volcan d’où cette infernale étincelle venait de jaillir. Plus loin, Fomalhaut, étoile bleuâtre, pure et mélancolique, s’abaissait sur une cime blanche, et semblait une larme de compassion et de miséricorde tombée du ciel sur la pauvre vallée, mais prête à être saisie en chemin par l’Esprit perfide des glaciers.

Ayant trouvé ces deux métaphores, dans un grand contentement de moi-même, je fermai ma fenêtre. Mais en cherchant mon lit, dont j’avais perdu la position dans les ténèbres, je me fis une bosse à la tête contre l’angle du mur. C’est ce qui me dégoûta de faire des métaphores tous les jours subséquens. Mes amis eurent l’obligeance de s’en déclarer singulièrement privés.

Ce que j’ai vu de plus beau à Chamounix, c’est ma fille. Tu ne peux te figurer l’aplomb et la fierté de cette beauté de huit ans, en liberté dans les montagnes. Diane enfant devait être ainsi, lorsque, inhabile encore à poursuivre le sanglier dans l’horrible Érymanthe, elle jouait avec de jeunes faons sur les croupes amènes de l’Hybla. La fraîcheur de Solange brave le hâle et le soleil. Sa chemise entr’ouverte laisse à nu sa forte poitrine, dont rien ne peut ternir la blancheur immaculée. Sa longue chevelure blonde flotte en boucles légères jusqu’à ses reins vigoureux et souples, que rien ne fatigue, ni le pas sec et forcé des mules, ni la course au clocher sur les pentes rapides et glissantes, ni les gradins de ro-