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LETTRES D’UN VOYAGEUR.

ramasseront nos armes éparses sur le champ de bataille, et découvriront la vertu magique des flèches d’Hercule.

— Embrassons-nous, mon pauvre Franz, et que Dieu t’entende ! m’écriai-je en sautant à bas du mulet, tu ne parles et tu ne penses pas mal pour un musicien.

Une servante de mauvaise humeur ouvrait en cet instant la porte de l’hôtel de la Grand’-Maison, à Martigny.

— Ce n’est pas une raison pour faire la grimace, lui dit à brûle-pourpoint Franz, qui était tout émoustillé et tout guerroyant.

Elle faillit lui jeter son flambeau à la tête. Ursule se prit à pleurer. — Qu’as-tu ? lui dis-je. — Hélas ! dit-elle, je savais bien que vous me mèneriez au bout du monde ; nous voici à la Martinique. Il faudra passer la mer pour retourner chez nous ; on me l’avait bien dit que vous ne vous arrêteriez pas en Suisse ! — Ma chère, lui dis-je, rassure-toi et enorgueillis-toi. D’abord tu es à Martigny, en Suisse, et non à la Martinique. Ensuite, tu sais la géographie, absolument comme Shakspeare.

Cette dernière explication parut la flatter. Franz donna l’ordre aux domestiques de réveiller la caravane à six heures du matin. Nous nous jetâmes dans nos lits, exténués de fatigue. J’avais fait à pied presque tout le chemin, c’est-à-dire huit lieues. Le major l’avait fort bien remarqué, et il me gardait un plat de son métier. Il s’enferma avec Barchou de Penhoën et Puzzi, qu’il rossa pour l’empêcher de ronfler, et il chercha toute la nuit le véritable sens de cette terrible phrase : — « L’absolu est identique à lui-même.»

N’en ayant point trouvé qui le satisfît pleinement, son humeur satanique s’exaspéra, et, à quatre heures du matin, il vint faire un vacarme épouvantable à ma porte. Je m’éveille, je m’habille en toute hâte, je refais mes paquets, et je parcours toute la maison, affairé, me frottant les yeux, luttant contre la fatigue, et craignant d’être en retard. Un profond silence régnait partout, j’en étais à croire que la caravane était partie sans moi, quand le major, en bonnet de nuit, apparaît en bâillant sur le seuil de sa chambre.

— Quelle mouche vous pique ? dit-il avec un sourire féroce, et d’où vient que vous êtes si matinal ? Votre humeur est vraiment fâcheuse en voyage. Tenez-vous en repos, nous avons encore une heure à dormir.

Damné major !… m’écriai-je avec fureur.