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moins ce qui existe de plus parfait en son genre. Mais comme toutes les grandes spécialités, le brave homme a son grain de folie. L’orage est, à ce qu’il paraît, son idéal. Dada sublime et digne du cerveau d’Ossian ! mais difficile à dompter, et s’échappant toujours par quelque endroit, au moment où le patient artiste croit l’avoir bridé. Voyez un peu ! Les bruits de l’air sous toutes leurs formes auditives sont entrés dans les jeux d’orgue, comme Éole et sa nombreuse lignée dans les outres d’Ulysse ; mais l’éclair seul, l’éclair rebelle, l’éclair irréalisable, l’éclair qui n’est ni un son, ni un bruit, et que Mooser veut pourtant exprimer par un son ou par un bruit quelconque, manque à l’orage de Mooser. Voilà donc un homme qui mourra sans avoir triomphé de l’impossible, et qui ne jouira point de sa gloire, faute d’un éclair en musique. Il me semble, Arabella, que vous eussiez dû le plaindre, au lieu de vous en moquer ; la folie de ce bonhomme a bien quelque rapport avec la maladie sacrée qui vous ronge.

Après nous avoir exprimé le rêve de Mooser très gravement et sans aucune espèce de doute sur sa réalisation (car il essaya lui-même de nous faire entendre par une espèce de sifflement le bruit de la lumière), le syndic nous promena dans les flancs de l’immense machine. Toutes ces voix humaines, tous ces ouragans, tout cet orchestre de musiciens imaginaires enfermés dans des étuis de fer-blanc, nous rappelèrent les génies des contes arabes, condamnés, par des puissances supérieures, à gronder et à gémir dans des coffrets de métal scellés.

On nous avait dit que Mooser était appelé à Paris pour faire l’orgue de la Madeleine ; mais le syndic nous apprit qu’il n’en était plus question. Sans doute le gouvernement français, moins magnifique qu’un canton de la Suisse, aura reculé devant la nécessité de payer honorablement un travail de premier ordre. Il est cependant certain que Mooser est seul capable de remplir des grandes clameurs de la prière en musique, le large vaisseau de la Madeleine, et que là seulement il pourrait déployer toutes les ressources de sa science. Ainsi le monument et l’ouvrier s’appellent l’un l’autre.

Ce fut seulement lorsque Franz posa librement ses mains sur le clavier, et nous fit entendre un fragment de son Dies iræ, que