Page:Revue des Deux Mondes - 1836 - tome 8.djvu/446

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
442
REVUE DES DEUX MONDES.

violé le sanctuaire des consciences, pour ceux qui auront chargé de fers les mains de leurs frères, pour ceux qui auront épaissi sur leurs yeux les ténèbres de l’ignorance, pour ceux qui auront proclamé que l’esclavage des peuples est d’institution divine, et qu’un ange apporta du ciel le poison qui frappe de démence ou d’ineptie le front des monarques, pour ceux qui trafiquent du peuple et qui vendent sa chair au dragon de l’Apocalypse ; pour tous ceux-là, il y aura de la crainte, il y aura de l’épouvante !

J’étais dans un de ces accès de vie que nous communique une belle musique ou un vin généreux, dans une de ces excitations intérieures où l’ame long-temps engourdie semble gronder comme un torrent qui va rompre les glaces de l’hiver, lorsqu’en me retournant vers Arabella, je vis sur sa figure une expression céleste d’attendrissement et de piété ; sans doute elle avait été remuée par des notes plus sympathiques à sa nature. Chaque combinaison des sons, des lignes, de la couleur, dans les ouvrages de l’art, fait vibrer en nous des cordes secrètes et révèle les mystérieux rapports de chaque individu avec le monde extérieur. Là où j’avais rêvé la vengeance du Dieu des armées, elle avait baissé doucement la tête, sentant bien que l’ange de la colère passerait sur elle sans la frapper, et elle s’était passionnée pour une phrase plus suave et plus touchante, peut-être pour quelque chose comme le


Recordare, Jesu pie


Pendant ce temps, des nuées passaient et la pluie fouettait les vitraux ; puis le soleil reparaissait pâle et oblique pour être éteint peu de minutes après par une nouvelle averse. Grâce à ces effets inattendus de la lumière, la blanche et proprette cathédrale de Fribourg paraissait encore plus riante que de coutume, et la figure du roi David, peinte en costume de théâtre du temps de Pradon, avec une perruque noire et des brodequins de maroquin rouge, semblait sourire et s’apprêter à danser encore une fois devant l’arche. Et cependant l’instrument tonnait comme la voix du Dieu fort, et l’inspiration de notre grand musicien faisait planer tout l’enfer et tout le purgatoire de Dante sous ces voûtes étroites à nervures peintes en rose et en gris de perle.

Les enfans couchés à terre comme de jeunes chiens s’endormaient dans des rêves de fées sur les marches de la tribune,