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avez fourni le sujet et les principales situations), de vous avoir jeté brusquement dans une arène nouvelle, dans d’autres temps, dans un autre pays, dans une autre religion surtout. Vous aviez donné la preuve d’une haute puissance pour le développement du sentiment religieux, ce fut une excellente idée à lui (je suppose toujours que vous ne la lui avez pas donnée) de vous fournir une forme religieuse qui ne fût pas la même, et qui ne vous contraignît pas à faire abus de vos ressources.

Mais dites-nous comment, avec une trentaine de versiculets insignifians, vous savez dessiner de telles individualités, et créer des personnages de premier ordre, là où l’auteur du libretto n’a mis que des accessoires. Ce vieux serviteur rude, intolérant, fidèle à l’amitié comme à Dieu, cruel à la guerre, méfiant, inquiet, fanatique de sang-froid, puis sublime de calme et de joie à l’heure du martyre, n’est-ce pas le type luthérien dans toute l’étendue du sens poétique, dans toute l’acception du vrai idéal, du réel artistique, c’est-à-dire de la perfection possible ? Cette grande belle fille brune, courageuse, entreprenante, exaltée, méprisant le soin de son honneur comme celui de sa vie, et passant du fanatisme catholique à la sérénité du martyre protestant, n’est-ce pas aussi une figure généreuse et forte, digne de prendre place à côté de Marcel ? Nevers, ce beau jeune homme en satin blanc, qui a, je crois, quatre paroles à dire dans le libretto, vous avez su lui donner une physionomie gracieuse, élégante, chevaleresque, une nature qu’on chérit malgré son impertinence, et qui dit, avec une mélancolie adorable, cette phrase charmante (je parle des notes, et non des mots qui me servent à la rappeler) : « Vraiment on ne peut croire à quel point chaque jour je suis persécuté. »

Excepté dans les deux derniers actes, le rôle de Raoul, malgré votre habileté, ne peut soulever la niaiserie étourdie dont l’a accablé M. Scribe. La vive sensibilité et l’intelligence rare de Nourrit luttent en vain contre cette conduite de hanneton sentimental, véritable victime à situations, comme nous disons en style de romancier. Mais comme il se relève au troisième acte ! comme il tire parti d’une scène que des puritanismes d’ailleurs estimables ont incriminée un peu légèrement, et que, pour moi qui n’entends malice ni à l’évanouissement ni au sofa de