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AFFAIRES DE ROME.

dernier, et qu’il avait écrit de lui en le comparant à Tertullien : « Et Tertullien aussi avait des vertus ; il se perdit néanmoins parce qu’il manqua de la plus nécessaire de toutes, d’humilité. Je cite de préférence Tertullien parce qu’il y a de singuliers rapports entre lui et l’oracle du jansénisme, M. Arnauld. Tous deux d’un caractère ardent, présomptueux, opiniâtre, tous deux pleins de génie, tous deux ayant rendu à la religion d’éminens services, ils se laissèrent entraîner (qui le croirait dans de si grands hommes ?) à la fougue d’une imagination qui outrait tout[1]… » Mais au pire, et malgré l’inconséquence reprochable, et malgré le danger de la pente rapide, ce rôle d’un Arnauld, d’un Savonarole, offrait encore de grandes parties continues et harmoniques avec cette nature invincible de prêtre : il y avait la foi.

Chose singulière et à jamais digne de méditation pour ceux qui en ont été témoins ! tandis que M. de La Mennais luttait ainsi et se croyait sûr et ne doutait pas, il dériva sans s’en apercevoir d’abord, et ne se tint plus. Y eut-il pour lui un moment où le vase sacré se brisa dans ses mains, et où la divinité de ce qu’il avait cru s’évanouit avec fracas comme dans un orage ? Y eut-il déclin et descente insensible jusqu’au bout, comme pour ces villages au penchant des montagnes, qui glissent peu à peu du rocher sans secousse, avec leur fonds de terrein tout entier, et se réveillent un matin dans la plaine ? Lui seul pourrait nous le dire, si sa mémoire parlait. Ce qu’il faut reconnaître, c’est l’influence comme atmosphérique du siècle, qui, en deux ou trois années, a rongé et pénétré cette trempe si forte, et l’a oxidée si profondément. Dans cette volonté de fer, dans cette chaîne logique d’airain, dans cette vie constamment austère et intègre, il y a eu un moment où tout s’est brisé… oui, tout !… il y a eu une paille qui a fait défaut, et les mille anneaux du métal ont jonché la terre ; et cela, pour que l’esprit du siècle à la longue eût raison, pour que sa provocation incessante et flatteuse ne restât pas vaine, pour que cette parole de M. Lerminier fût accomplie : « Il a le goût, du schisme ! qu’il en ait le courage ! »

Il faut convenir qu’il y a des hommes par le monde qui ont le droit d’être fiers de ce qu’on appelle intelligence humaine et rai-

  1. Réflexions sur l’État de l’Église.