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LETTRE AU DIRECTEUR.

nore pas M. Bertin, il souille Carrel, ou plutôt moi, son ami, qui les mêle tous deux dans ma mémoire ? Comment un sentiment qui me faisait honneur aux yeux de Carrel a-t-il pris, sous la plume de M. Sainte-Beuve, l’air ou d’une pauvre inconséquence d’esprit ou d’une grossière banalité de cœur ? Où est donc cette apothéose, où j’ai couronné les noms de M. Bertin l’aîné et de Carrel ? À quel titre les aurais-je réunis ? Ce ne pouvait être que comme écrivain ; mais, outre que je ne place aucun écrivain polémique à côté de Carrel, M. Bertin l’aîné, autrefois écrivain très habile, à ce qu’on dit, n’en est pas un pour moi, qui n’ai jamais lu une ligne de lui. Est-ce parce que, dans des circonstances très différentes, dans des écrits très distincts, de la même plume dont j’ai loué Carrel, il m’est arrivé de parler avec reconnaissance des lumières et de la haute intelligence de M. Bertin l’aîné ? Mais la première fois, je le répète, ç’a été dans le National, avec l’approbation entière de Carrel, sous sa responsabilité vis-à-vis de ses amis, et en mettant le nom de M. Bertin l’aîné à côté et presque sous la garantie du sien ; la seconde fois, ç’a été à propos de M. de Châteaubriand, dans une occasion naturelle, et sous l’autorité, encore si forte, de la mémoire de Carrel, ma seconde conscience, lequel n’eût pas désapprouvé, ce semble, que je fisse dans une Revue ce que j’avais déjà fait, avec son assentiment, dans le National. Est-ce donc là une apothéose commune ? En confondant sous la même qualification deux sentimens fort différens, mon respect pour M. Bertin l’aîné et mon culte de cœur pour Carrel, M. Sainte-Beuve ne m’a-t-il pas exposé à être jugé par les autres plus sévèrement que je suis certain qu’il ne me juge lui-même ? En laissant les deux choses séparées, et chacune avec son vrai caractère, il ne m’eût pas nui sans le vouloir, et il aurait eu, de plus, l’honneur d’être de l’avis de Carrel. Quand j’écrirai la vie privée de cet homme à jamais regrettable, tâche sacrée, que m’ont confiée ses plus chères affections et ses amis les plus proches, j’essaierai de montrer de quelle ame venaient cette délicatesse supérieure et ce tact des convenances morales, qui n’ont pas pu transpirer dans sa vie publique, ou qui ont échappé à l’œil un peu grossier des partis.

Je vais répondre, en finissant, au dernier grief, lequel porte sur le motif qui m’aurait déterminé à défendre les principes classiques. Quoique ce grief soit littéraire, comme il s’agit toujours de ma conduite et point de mon esprit, je ne sors pas de mon dessein en y répondant, outre que je défends encore mes principes et non ma personne, en disant brièvement ce qui m’y a ramené et ce qui m’y maintient.

C’est, je crois, l’éternelle vertu de ces principes, que l’étude et le bon sens y réconcilient bientôt tous les hommes naturellement droits, qui en ont été distraits ou éloignés par les caprices littéraires contemporains.