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NOUVELLES LETTRES SUR L’HISTOIRE DE FRANCE.

assez grand nombre d’évêques ; mais, soit par une sorte de discrétion, soit par crainte de ne pas réussir, aucune démarche ne fut faite auprès de celui que Leudaste avait voulu ruiner par ses accusations mensongères.

Aussi Grégoire fut-il singulièrement surpris d’apprendre que son plus grand ennemi, excommunié par un concile et proscrit par le roi, revenait, avec une lettre de grâce, habiter le territoire de Tours. Il le fut encore davantage, lorsqu’un envoyé de Leudaste vint lui présenter la lettre signée par les évêques, et le prier de consentir avec eux à la levée de l’excommunication[1]. Soupçonnant quelque nouvelle fraude inventée pour le compromettre, il dit au messager : « Peux-tu me montrer aussi des lettres de la reine, à cause de laquelle, surtout, il a été séparé de la communion chrétienne ? » La réponse fut négative, et Grégoire reprit : « Quand j’aurai vu des ordres de la reine, je le recevrai sans retard, dans ma communion[2]. » Le prudent évêque ne s’en tint pas à ces paroles ; il fit partir un exprès chargé d’aller s’informer, en son nom, de l’authenticité de la pièce qui lui avait été présentée, et des intentions de la reine Frédégonde. Celle-ci répondit à ses demandes par une lettre ainsi conçue : « Pressée par beaucoup de gens, je n’ai pu faire autrement que de lui permettre de se rendre à Tours ; maintenant je te prie de ne point lui accorder ta paix, et de ne point lui donner de ta main les eulogies, jusqu’à ce que nous ayons pleinement avisé à ce qu’il convient de faire[3]. »

L’évêque Grégoire connaissait le style de Frédégonde ; il vit clairement qu’il s’agissait pour elle, non de pardon, mais de vengeance et de meurtre[4]. Oubliant ses propres griefs, il eut compassion de l’homme qui naguère avait comploté sa ruine et qui

  1. Sed et nobis epistolam sacerdotum manu subscriptam detulit, ut in communionem acciperetur. (Gregorii Turon., Hist. lib. vi, pag. 282.)
  2. Sed quoniam litteras reginæ non vidimus, cujus causa maximè à communione remotus fuerat, ipsum recipere distuli, dicens : Cùm reginæ mandatum suscepero, tunc eum recipere non morabor. (Ibid.)
  3. Intereà ad eam dirigo : quæ mihi scripta remisit, dicens : Compressa à multis aliud facere non potui, nisi ut eum abire permitterem ; nunc autem rogo, ut pacem tuam non mereatur, neque eulogias de manu tua suscipiat, donec à nobis quid agi debeat plenius pertractetur. (Ibid.) — Sur la distribution des eulogies aux personnes non excommuniées, voir la iiie de ces Lettres.
  4. At ego hæc scripta relegens timui ne interficeretur. (Gregorii Turon., Hist. lib. vi, pag. 282.)