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ne sait quel semblant de dogmatisme et de virilité. Les insensées ! qui oublient dans leur enthousiasme que changer de sexe c’est répudier en quelque sorte son humanité. Qu’arrive-t-il ? Les femmes qui les adoraient comme l’expression de leurs plaintes inoffensives, s’éloignent d’elles, trouvant désormais leur organe rauque et maussade ; quant aux hommes, ils se prennent à sourire, en entendant Jérémie ou Savonarole prêcher la ruine de l’univers avec une voix de faucet. Oh ! si les femmes voulaient rester là où Dieu les a mises, et ne point rompre avec leur caractère, comme il y en aurait parmi elles de sublimes vers qui se tournerait la commune sympathie, plus puissantes cent fois dans leur faiblesse divine que dans leur force. Qu’est-ce donc que les femmes cherchent hors des limites de leur nature ? elles ont l’amour et les larmes. Quel bien vaut ici-bas ces inappréciables trésors qu’elles tiennent du ciel, et que les plus grands poètes leur envient ?

Nous lisions récemment, dans les œuvres que Goëthe a laissées, et qu’on publie aujourd’hui en Allemagne, une page où la musique de Mlle Louise Bertin est appréciée en quelques lignes par l’auguste vieillard. Au milieu des études immenses qu’il poursuivait à travers l’âge, et de la méditation continuelle où le tenait plongé la seconde partie de Faust, autre poème sublime qu’il terminait avant de mourir, Goëthe, assailli par toute espèce de sollicitations qui lui arrivaient des quatre points de l’Europe, répondait à chacun avec patience et méthode, et ne faisait défaut à personne. Écrits, dessins, musique, il s’informait de tout par lui-même. Si c’était un livre, il le lisait jusqu’à la dernière page ; si c’était une partition, il mandait auprès de lui quelque musicien de ses amis, qui la lui jouait d’un bout à l’autre ; et le grand homme, assis près du clavier, dans sa robe de chambre, écoutait en rêvant. La lecture terminée, livre ou partition, il écrivait ce qu’il pensait de la chose, et puis enfermait soigneusement sa note dans un tiroir dont il gardait la clé. C’est la collection de tous ces petits feuillets, écrits au hasard, qui a fait les Nachgelassene Werke, livre de mémoires et de critique, étrange et curieux, et digne, malgré l’absence de toute composition régulière, de ce haut intérêt que commande toujours le moindre produit du génie. L’infatigable vieillard élevé comme il l’était au-dessus de toutes les considérations d’amour-propre et de