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DE LA MUSIQUE DES FEMMES.

Mlle Bertin en est venue à reconnaître la toute-puissance de l’orchestre au point de lui donner à engloutir quelques-unes de ses plus charmantes qualités. Personne plus que nous n’admire les magnificences de l’instrumentation allemande, personne plus que nous ne s’incline devant le génie austère de Beethoven. Cependant il y a là une vérité incontestable ; l’orchestre, ce champ de l’avenir, il faudra bien que vous l’ensemenciez. Or, qu’y mettrez-vous, sinon de la mélodie et des idées ? Une femme, quels que soient d’ailleurs son aptitude, son énergie et son courage, ne parviendra jamais à cette force de modération qu’exige le gouvernement de l’orchestre. Sa nature même s’y oppose ; son visage gracieux se riderait à cette peine ; ses blanches tempes se flétriraient à ce travail ingrat. Lorsqu’une femme est assez heureuse pour avoir reçu du ciel la fleur de la mélodie, il faut qu’elle la respire au lieu de l’effeuiller dans le lac tumultueux de l’orchestre ; il faut qu’elle chante et ne cesse de chanter, comme les maîtres d’Italie ou comme l’oiseau du printemps, peu importe. Il me semble que si j’étais femme, et que j’eusse à choisir entre Cimarosa et Beethoven, je ne tarderais guère à me décider pour le premier, ne fût-ce qu’à cause de l’harmonie et du parfum de ce nom enchanté.

C’est une grave erreur de croire que le caractère d’un maître ne se révèle que dans l’instrumentation ; je pense qu’il faudrait soutenir le contraire, et dire qu’une musique n’est originale que par la mélodie. La mélodie existe avant l’instrumentation ; au besoin, une mélodie peut être originale par elle-même, tandis qu’il ne peut exister de forme sérieuse sans la présence et sans le secours de la mélodie qui la féconde et la relève. Voyez les maîtres italiens ; leur contestera-t-on l’originalité par hasard ? et cependant ceux-là se préoccupent si peu de l’orchestre, que, sauf quelques exceptions rares, on pourrait presque dire qu’ils ne font que chanter. Cimarosa chante-t-il comme Mozart, Rossini comme Cimarosa ? Pour Bellini, son défaut dominant ne saurait servir d’armes contre nous, attendu que ce défaut n’ôte rien à l’indépendance de son allure ; Bellini a le tort de s’imiter lui-même, et d’employer à tout instant certaines formules qu’il a une fois inventées : Bellini chante trop souvent comme Bellini. Souvent, tout en voulant éviter le commun, on tombe dans le défaut contraire, le bizarre. Entre les deux extrêmes est la vraie originalité que chacun cherche ; par malheur, bien des