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L’ESPAGNE AU DIX-NEUVIÈME SIÈCLE.

mait plus ses vieux somatènes et les restes épuisés de ses aggraviados, il était démontré que l’insurrection carliste, livrée à elle-même, viendrait échouer ou contre l’opposition ou contre l’apathie de l’Espagne.

Ces prévisions que tout homme connaissant la Péninsule pouvait former dès les premiers mois de 1834, n’ont point été infirmées par les évènemens. En vain l’anarchie a-t-elle massacré les moines, exercé ses proscriptions, proscrit les gens de bien, porté l’épouvante au cœur des hommes timides : aucun vengeur n’est sorti de ce sang qui crie encore, et les armées du prétendant n’ont pas plus recueilli les fugitifs de Madrid, que celles de l’émigration ne recevaient les proscrits de la Gironde. Le seul résultat qu’ait amené pour don Carlos cette complète dissolution du pouvoir qui suivit les évènemens du mois d’août, c’est l’expédition de Gomez, audacieuse maraude dont le caractère politique est assez vaguement indiqué.

Cette marche de quatre cents lieues n’a été signalée par aucun soulèvement populaire ; aucune junte locale ne s’est organisée sous la protection de ce chef, qui semble avoir moins eu pour but de tenter un appel à des sympathies comprimées, que de faire des fonds pour le quartier-général, en quoi ce fourrageur en grand a merveilleusement réussi. On en est arrivé en Espagne à ce point de lassitude qu’amis et ennemis ont mieux aimé lui livrer leur or que de prendre les armes soit pour le repousser, soit pour le défendre. La marche de Gomez a eu le résultat de constater en même temps et l’impuissance de la révolution et la faiblesse du parti carliste ; ou, pour parler plus vrai, ce fut une soudaine révélation que ce pays sembla donner au monde de toutes ses misères à la fois.

Il s’est trouvé qu’au xixe siècle, au sein d’un grand royaume européen, un chef militaire, avec une poignée d’hommes, a traversé dix provinces, pénétré dans toutes les capitales, rançonné les habitans, vidé les caisses publiques, comme ne le fit jamais chef de grandes compagnies durant les longs désordres qui précédèrent l’enfantement du monde moderne. Et, cette fois, le moyen-âge est dépassé, Froissart pâlit devant le Moniteur. Il demeure prouvé que l’Espagne est privée à la fois et de cette force régulière payée par les nations modernes pour les protéger dans le paisible cours de leur vie civile, et de ces vieux remparts où montait une brave bourgeoisie quand le beffroi sonnait, et que des brigands cuirassés se montraient au loin dans la plaine. L’expédition de Gomez n’est pas, d’ailleurs, un résultat spécial des circonstances actuelles ; il ne serait pas difficile de signaler d’autres indices de cette étrange situation, par suite de laquelle un des plus nobles peuples du monde se trouve dénué de toutes les conditions de sécurité qu’offrait l’organisation militaire du moyen-âge, en même temps qu’il reste en dehors de toutes celles que pré-