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Cet homme politique, d’un esprit plus souple et moins prompt que son éloquent collègue, ne s’était pas compromis comme lui sur la question qui allait décider de sa fortune politique et de l’avenir de l’Espagne. Il mit de prime-abord tout son enjeu sur cette carte chanceuse, comprenant que c’en était fait du système dont il était le dernier représentant, s’il ne parvenait à éclairer la France sur la véritable situation de la Péninsule. Le refus d’une intervention officiellement demandée entraînait, en effet, et la chute du cabinet, et le triomphe du parti exalté qui se présenterait dès-lors comme la dernière espérance de la révolution compromise.

Pour faire accepter avec moins de défiance par ce parti une mesure qu’il pouvait envisager comme prise contre lui-même, M. de Toréno s’adjoignit, en qualité de ministre des finances, M. Mendizabal, alors à Londres pour une négociation difficile, se prévalant ainsi de son nom sans avoir de long-temps à craindre sa présence. D’un autre côté, afin de donner à la France et à l’Europe un gage de l’esprit dans lequel devait s’exercer l’intervention réclamée, il désira pour collègue au ministère de la guerre le membre le plus influent du conseil de régence et de la chambre des proceres, M. le marquis de Las-Amarillas, récemment créé duc d’Ahumada.

L’intervention, qui jusqu’alors n’avait été qu’un thème de publiciste, se produisait donc en ce moment avec une haute autorité politique. Le ministère espagnol déclarait qu’à ses yeux l’avenir de la monarchie constitutionnelle reposait sur cette négociation, déclaration que les évènemens sont loin d’avoir infirmée. Arrivés à ce point, nous devons donc aborder une question qui, depuis, a dominé toutes les autres, et dont ces études ont eu pour but spécial d’éclairer la solution.

On n’avait pu manquer de voir avec faveur, à Paris, l’avènement au trône de la jeune reine. Il était évident, en effet, que l’infant don Carlos serait dominé par des influences anti-françaises ; et ce danger, dans la situation de l’Europe, était plus grave, sans nul doute, que la préoccupation éventuelle de voir un archiduc régner un jour à Madrid. Personne n’ignorait que les affinités politiques ou l’identité des intérêts sont désormais les seules bases d’alliance ; aussi, notre gouvernement, renonçant avec raison et sans hésiter au bénéfice des stipulations d’Utrecht, fit-il transmettre à la reine-régente des protestations solennelles et empressées. Elles parvinrent à Madrid au moment même où M. de Zéa y faisait l’essai de ce despotisme éclairé dont le premier tort fut d’être un anachronisme. Cette circonstance, jointe aux déclarations irréfléchies de la presse semi-officielle, fit penser en Espagne, et même en Europe, que la France prenait sous un même patronage et le trône de la reine et le système de son ministre,