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LE MAROC.

nous aller plonger dans cette mer sans rivage. Nos chevaux y entrèrent jusqu’à mi-jambe, et nous continuâmes à naviguer ainsi jusqu’au soir.

Nous revîmes la fontaine où nous avions déjeuné, le saule qui nous avait prêté son ombre ; mais l’oasis avait disparu : ce n’était plus qu’un grand marécage. Nos montures, accoutumées à faire halte en cet endroit, refusèrent de passer outre : elles se mirent à ruer dans l’eau, et une petite mule rétive que montait un de mes compagnons se coucha au beau milieu du lac. Enfin la victoire nous resta, et nous poursuivîmes le cours de notre marche aquatique.

Ce qui me frappa le plus dans cette journée désastreuse, ce fut la constance et l’imperturbable sang-froid de notre garde. Il avait ramené sur son turban le capuchon de son bournous bleu, attaché son fusil au travers de sa selle, et il allait tout droit devant lui sans proférer une plainte, un murmure. Il montait un grand cheval blanc aussi calme, aussi flegmatique que son cavalier, et qui avait dix fois plus de jambes que les nôtres ; aussi avait-il sur nous une avance considérable. Quand nous restions trop en arrière et que nous étions près de le perdre de vue, il s’arrêtait, poussait un cri sauvage pour nous rallier, et, sans même se retourner, il attendait immobile sous la pluie que nous l’eussions rejoint ; puis bientôt il nous devançait de nouveau, s’arrêtait encore pour nous attendre, et ce manège se renouvelait dix fois par heure, sans que l’impassible Africain en témoignât la moindre humeur.

Cependant la pluie n’avait pas cessé une seconde. Nous étions trempés jusqu’aux os. Un vent froid et impétueux nous glaçait le visage et nous pénétrait jusqu’à la moelle. Pour surcroît de calamité, nous étions à jeun : la mule qui portait nos vivres était restée en arrière, perdue dans les boues du mont Akbar. À l’exception d’un fonctionnaire italien qui était de la partie et qui pleurait naïvement, nous faisions bonne contenance. L’honneur européen y était engagé, nous eussions rougi de faiblir en présence du soldat qui nous donnait un si bel exemple de courage et de patience.

Je tais les mille obstacles, les mille dangers de la route, et les ravins convertis en torrens, et les boues mouvantes, et les fondrières inextricables. Mon cheval, qui n’était pas le meilleur de la caravane, avait des accès de découragement et des défaillances