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BÂLE.

mée par le Christ, qu’ils font ressortir avec le plus de soin : on dirait qu’ils constatent l’idée en attendant son application. Dans la peinture, dans la poésie, dans la sculpture, la même préoccupation se reproduit sans cesse ; elle déborde de tous côtés ; c’est une éternelle protestation du faible contre le fort, un cri impérissable en faveur des saintes lois de la liberté. Vous voyez cette grande pensée parler tous les langages, emprunter toutes les formes, les plus graves comme les plus bouffonnes, les plus attendrissantes comme les plus satiriques. Rien n’est épargné dans les sanglantes épigrammes de l’art à cette époque. Au milieu de la Danse macabre dont nous nous occupons, on voit la Mort s’approcher d’une abbesse, soulever un coin de ses vêtemens, et montrer sa taille épaissie avec un geste dont la cynique ironie ne peut laisser aucun doute. Le poète allemand a écrit au bas quatre vers, dont voici la traduction :


Dites-nous, dame abbesse, honneur du monastère,
D’où vient cet embonpoint qui semble vous gêner ?
Je ne veux rien imaginer !…
Mais pour jamais je vais vous en défaire.


Dans la même danse, la Mort s’offre aux yeux d’un cardinal avec le chapeau rouge, la sainte clochette et un serpent au lieu de cœur.

Du reste, les rapprochemens burlesques, les idées touchantes, les images tendres ou philosophiques abondent dans ce curieux poème qui résume, pour ainsi dire, toutes les témérités et toutes les naïves finesses du siècle. La Mort y prend toutes les physionomies, y affiche toutes les allures. Vous la voyez tantôt jouant de la mandoline et chantant sa funèbre romance à une duchesse, tantôt semant de l’or pour attirer un juif sur ses pas, tantôt passant près d’une dame qui se regarde, et lui montrant dans le miroir un hideux squelette au lieu de sa gracieuse image. Ailleurs elle entraîne un aveugle près de sa fosse, et là lui dérobe son bâton et coupe la corde du chien qui le conduit ; ou bien elle se glisse derrière un marchand qui pèse ses doublons et leur donne une tête de mort pour contrepoids. Toutes les conditions entrent ainsi successivement dans la danse fatale avec leurs attributs, leurs vices et leurs caractères. On ne saurait imaginer, sans l’avoir vu, combien le peintre a dépensé d’imagination pour varier cette trame et donner à chaque scène de ce drame uniforme l’intérêt et l’imprévu de l’œuvre la plus variée. Quelque chose pourtant étonne devant cette étrange création. On s’explique avec peine comment le moyen-âge, si croyant au dire de nos historiens actuels, si orthodoxe, si pénétré des sublimités du catholicisme, a pu représenter la Mort sous l’aspect hideux qu’elle revêt dans ces tableaux. De pareilles créations paraîtraient