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HOMMES D’ÉTAT DE L’ANGLETERRE.

que sa position nécessiteuse avait poussé à désavouer un mariage honorable et réel, se trouvait réduit à chercher quelque nouveau subterfuge, capable à la fois d’apaiser une femme outragée et de ménager les bonnes dispositions de la chambre des communes. Charles Grey fut, dit-on, l’ami qu’il voulut charger de cette tâche délicate. Mais, ajoute-t-on, l’intégrité du jeune confident se révolta à cette seule proposition, et il la rejeta dédaigneusement. D’autres ont attribué la division qui éclata alors entre lui et le prince à une rivalité d’amour, dans laquelle Charles Grey l’aurait emporté près de certaine grande dame sur son illustre ami. Quelle qu’ait été la cause de la scission, il est certain qu’elle coupa court aux relations intimes des deux personnages. Charles Grey cessa de paraître à la cour de l’héritier présomptif, au palais de Carlton. En tout cas, avec sa sévère dignité, et le haut respect qu’il avait de lui-même, Grey n’eût pas souffert long-temps le spectacle des tristes débauches au milieu desquelles le prince acheva une carrière commencée sous de si brillans auspices.

Au moment de la révolution française, il se fit une grande division parmi les whigs. Les plus modérés et les plus timides, ayant Burke et Grenville à leur tête, quittèrent momentanément les rangs de l’opposition, et passèrent dans le camp de Pitt. Les plus hardis, sous la conduite de Fox, demeurèrent du côté gauche de la chambre des communes. Grey fut du nombre de ces derniers, et il ne tarda pas à devenir l’un de leurs chefs. Lord Lauderdale, lord Erskine et quelques autres avaient formé avec lui le club des amis du peuple, qui épouvanta d’abord le gouvernement par ses principes presque républicains. Ce fut en avril 1793 que Grey présenta la fameuse pétition de cette société, qui sollicitait la réforme parlementaire. L’audacieuse requête n’eut alors qu’un petit nombre de partisans. Quatre années plus tard, en 1797, Charles Grey apporta au parlement un plan détaillé de réforme. Or, voici une singulière preuve de la ténacité de caractère et de la fixité des vues de cet homme. Le premier bill de réforme, présenté en 1831 par l’administration qu’il dirigeait, ressemble presque identiquement, après trente années de vicissitudes politiques, au plan qu’avait proposé le jeune député du Northumberland. Ce premier projet demandait aussi l’abolition des bourgs pourris, l’augmentation du nombre des représentans des comtés, l’agrégation de plusieurs