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REVUE LITTÉRAIRE.

cette dame s’était acquis une juste célébrité par plusieurs recueils de vers fort distingués. Comme il faut que les temps soient devenus mauvais ! Mme Tastu elle-même n’ose plus revenir à la charge, et se représenter au lecteur des vers à la main. C’est du roman, ce sont des nouvelles qu’elle lui offre aujourd’hui. Et voyez quel excès de timidité inspire au poète les répugnances de l’époque ! Mme Tastu n’appellera même pas par leur nom ses récentes productions ! Elle ne dira pas, tant elle craint qu’on ne la soupçonne de supercherie ! elle ne dira pas : Ce sont des nouvelles et des romans que je vous apporte ; afin de rassurer tout-à-fait les gens et de leur ôter jusqu’à la moindre appréhension, elle certifie que son livre n’est que de la prose ; elle fait mieux, elle le nomme : Prose.

Prose est en effet le titre des deux nouveaux volumes de Mme Tastu. N’auront-ils pas été produits un peu au hasard, sans suite, sans but, sans prétention, en des heures de découragement poétique ? Nous le supposerions volontiers d’après leur contenu. Ils se composent d’histoires détachées, tantôt originales, tantôt traduites ou imitées de l’anglais. Ces divers morceaux sont écrits sagement et d’un style correct. C’est leur qualité principale. Il s’en faut que ceux dont l’auteur avoue l’origine britannique, soient les plus attachans et les meilleurs. Quel mérite particulier leur a pu valoir d’être importés chez nous par Mme Tastu ? Nous concevons qu’un écrivain résiste difficilement à la tentation d’enrichir sa propre langue d’une œuvre étrangère dont la lecture l’a frappé vivement. Ainsi Mme Tastu était-elle applaudie de tous quand elle traduisait en beaux vers, des fragmens choisis de Shakspeare, de Moore et de Byron ? Mais qu’elle puise maintenant pour sa prose, dans la prose de miss Landon ou d’autres médiocrités anglaises du même rang, voilà ce que nous sommes tentés de ne lui pas pardonner.

On dirait, en vérité, qu’un commerce fréquent avec cette littérature anglaise contemporaine, si impuissante et décolorée, a communiqué à Mme Tastu elle-même l’insignifiance et la pâleur. Plusieurs des compositions soi-disant originales de son recueil portent une sorte de cachet anglais. Ce sont de longs récits inanimés, invraisemblables, du goût de ceux qui encombrent mensuellement les illisibles magazines de Londres. L’auteur aurait-il oublié d’en indiquer la source étrangère ? Nous le voulons croire, afin de n’en point faire peser sur lui la responsabilité. Au nombre de ces morceaux tout-à-fait indignes de Mme Tastu, nous placerons le Bracelet maure, une manière d’histoire fantastique parfaitement inintelligible.

Nous ne nous plaindrions pas de trouver dans Fabien le Rêveur une dose modérée de rêverie ; mais l’interminable succession de songes vulgaires dont l’enchaînement forme cette nouvelle, n’est qu’une fâcheuse