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REVUE. — CHRONIQUE.

M. Guizot a de nouvelles alliances, des amis extraordinaires, des soutiens équivoques ; il est transformé ou plutôt travesti. Ce chef d’une ancienne majorité est devenu méconnaissable ; ses anciens partisans le délaissent, et ses nouveaux alliés le compromettent. M. de Broglie se montre à son égard d’une indifférence qui a toute la rigueur d’une condamnation sans appel. En vain M. de Rémusat voudrait-il de nouveau concilier à l’administration de M. Guizot l’amitié de M. de Broglie ; ce dernier demeure impassible et froid ; il refuse les confidences de ses anciens amis. C’est là un grave enseignement pour le président du conseil. M. Molé ne peut manquer de faire des réflexions sur la sûreté du commerce de M. Guizot, sur cette amitié politique funeste tour à tour à M. de Broglie, à M. Thiers. ; il doit se rappeler les attaques dirigées contre lui pour sa retraite lors du procès d’avril ; il ne peut ignorer que quelques feuilles doctrinaires des départemens l’ont harcelé même depuis son entrée à la présidence.

Peut-être M. Molé a-t-il déjà laissé le champ trop libre aux envahissemens de son collègue. Les positions dans lesquelles se retranche M. Guizot sont l’instruction publique, l’intérieur, le département de la justice, les finances. Avec ces quatre ministères, M. Guizot espère diriger toutes les grandes affaires intérieures : à l’instruction publique, il tient dans ses mains les bourses des colléges royaux, les encouragemens pour les études historiques, les sciences et les arts. À l’intérieur, il a sous sa dépendance, par l’intermédiaire de M. de Rémusat, les préfets et les sous-préfets, auxquels il imprime le mouvement politique ; il a les fonds secrets, la police. À la justice, M. Renouard, dévoué à M. Guizot plus encore qu’à M. Persil, dispose des nominations de la magistrature, des juges-de-paix, des tribunaux et des cours royales, ce qui est encore un assez puissant moyen d’action. Aux finances, M. Duchâtel a spécialement auprès de lui M. Vitet, conseiller d’état attaché à ce ministère, comme l’ont été autrefois MM. Thiers et Duchâtel ; non que M. Vitet soit financier, mais il travaille à la nomination des percepteurs de contributions, des receveurs particuliers, dont on fera au besoin autant d’agens électoraux dévoués.

Malgré ces fortes positions qu’il a su s’assurer, M. Guizot voit s’éloigner chaque jour les résultats qu’il s’en promettait. Quel rôle serait donc celui de M. Molé en s’associant de jour en jour plus intimement à une fortune qui chancelle ? Ne serait-il pas plutôt temps pour lui de réfléchir sérieusement sur son passé et sur l’avenir difficile qu’il se prépare ? Qu’il se rappelle qu’il appartient au centre gauche de la chambre des pairs, et que s’il a commis une faute aux yeux de la majorité constitutionnelle, en acceptant le pouvoir avec M. Guizot, il peut encore la réparer en