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Malheureusement les grandes compositions religieuses de Rubens ne sont pas en France ; et malgré l’énergie et la précision des gravures qui nous les ont révélées, les admirateurs de Rubens, qui ont pu contempler la Descente de Croix dans la cathédrale d’Anvers, auront toujours le droit de nous dire que les gravures les plus parfaites ne sont que des traductions. La galerie biographique de Marie de Médicis nous explique bien toutes les qualités générales de la peinture de Rubens, mais ne montre pas le style du maître dans les sujets bibliques. Une admirable esquisse de Sainte Famille, l’un des morceaux les plus précieux du cabinet de Sébastien Érard, nous met sur la voie de la solution que nous cherchons. Une Sainte Famille, exécutée dans les proportions de la nature par le chef de l’école flamande, et possédée aujourd’hui par M. Boursault, diamant inestimable que le Musée n’a pas osé acquérir, ne laisse aucun doute dans l’esprit de ceux qui ont pu l’étudier. Assurément cette composition est d’un style plus pur et plus élevé que les naïades et les tritons qui décorent les murs du Louvre. Ceux qui ne connaissent de Rubens que ses œuvres historiques sont loin de le connaître tout entier, et ne peuvent soupçonner la majesté dont il a su empreindre la Sainte Famille dont nous parlons. Mais pourtant nous serions injuste, nous protesterions contre l’évidence, si nous refusions d’avouer que, dans ce morceau même, il est facile de retrouver la réalité charnue qui distingue toutes les œuvres du maître. Cette réalité, quoique moins énergique dans la Sainte Famille, est cependant assez prononcée pour entamer le caractère idéal du sujet. La vierge et l’enfant sont d’une beauté admirable ; mais la beauté de ces deux figures touche de trop près à la terre pour ravir l’ame aux régions divines. Le spectateur ne se lasse pas d’étudier les contours et les plans de Jésus et de Marie ; mais son extase ne peut aller jusqu’à l’enthousiasme religieux. S’il n’a pas encore rencontré deux figures pareilles, ce bonheur ne lui semble pas impossible ; car il sent que ces deux figures vivent et respirent comme les hommes qu’il a vus.

Seule dans l’histoire, l’école romaine satisfait à toutes les conditions de la peinture religieuse : elle n’a pas, et nous nous empressons de le reconnaître, la réalité flamande. Elle ne peut lutter par l’éclat de la couleur ni avec Titien ni avec Murillo ; mais elle domine Venise et Madrid par l’harmonie linéaire. C’est à ce mérite qu’il faut rapporter la supériorité des compositions religieuses de l’école romaine. Pour tout homme habitué à l’étude de la nature vivante, il est clair que les madones de Raphaël ne vivent pas et ne pourraient vivre ; il est clair que ces lèvres si fines et si pures ne pourraient parler, que ces yeux si chastement voilés ne pourraient regarder ; ces joues, dont les contours nous frappent d’admiration, ne sont pas échauffées par le sang de nos veines. Tout cela est