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bre des ordres et leurs caractères fondamentaux, la classification se trouve finalement replacée sur les mêmes bases où l’avait fondée le génie de ce grand homme.

Restituons donc à Linnée l’honneur d’avoir le premier inventé la méthode naturelle ; reconnaissons en lui l’auteur, non-seulement des formes présentes, mais aussi du fond actuel de la classification zoologique ; et que, dans l’accomplissement définitif de cette œuvre capitale, chacun reprenne enfin la part de gloire qui lui appartient.

La postérité, qui a, comme les contemporains, ses préjugés, ses prédilections et souvent même ses préventions injustes, n’a pas non plus, jusqu’à présent, rendu pleine justice à Buffon. Quelques lignes écrites par Goethe peu d’années avant que s’éteignît cette lumière de l’Allemagne ; un article, tout récemment publié par M. Geoffroy Saint-Hilaire[1], sont peut-être les seuls jugemens équitables qui aient encore été rendus sur Buffon. Le littérateur éloquent a trop long-temps éclipsé en lui le penseur profond. Dire, comme tant d’auteurs modernes, que Buffon a donné à la science la meilleure ou, pour mieux dire, la seule histoire qu’elle possède des mammifères et des oiseaux ; le proclamer l’auteur fondamental pour ces deux branches importantes de la zoologie ; lui attribuer le mérite d’avoir, par la richesse et la poésie de son style, répandu dans toutes les classes le goût de l’histoire naturelle, entraîné tous les esprits vers cette science, et imprimé ainsi une vive impulsion à sa marche progressive, c’est beaucoup sans doute, et ce serait assez pour la gloire immortelle d’un homme ; mais la justice veut plus encore. Où se révèle toute la puissance d’invention, où se mesure la lointaine portée du regard de Buffon, c’est lorsque, sur les rares élémens qu’il voit épars autour de lui, il déduit, ou plutôt il devine les lois principales de la distribution géographique des êtres ; lorsqu’il retrace les harmonies variées des êtres, et les contrastes des diverses créations locales ; lorsqu’enfin il s’élève jusqu’à la conception de l’unité de plan dans le règne animal, du principe non moins fondamental de la variabilité des espèces, et de plusieurs autres de ces hautes vérités dont les unes viennent à peine d’être rendues accessibles à la démonstra-

  1. Voyez l’Encyclopédie nouvelle de MM. Leroux et Reynaud, à l’article Buffon.