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ouvrages que ceux qui peuplent d’ordinaire les obscures travées de la grande galerie, et pour rejeter les toiles peut-être incomplètes, mais au moins pleines d’accent et d’intentions, d’hommes déjà connus et goûtés du public. Du moment où des peintres ont produit des œuvres assez remarquables pour attirer l’attention de la critique, du moment où l’on a reconnu en eux une organisation et un sentiment véritable d’artiste, il n’est plus permis qu’à la haine ou à l’ignorance de leur fermer les portes du Louvre. Voilà pourtant ce qui est arrivé l’année dernière à MM. Delacroix et T. Johannot, et ce qui est arrivé cette année à MM. Barye, Gigoux et Amaury Duval. Il est à penser que le cri général qui s’est élevé à ce sujet dans toute la presse sera une manifestation suffisante de l’opinion publique pour empêcher désormais de pareilles proscriptions. Sinon, nul artiste, si éminent qu’il soit, ne se croira certain d’entrer au Louvre, s’il n’est membre de l’Académie, et s’il ne fait partie du jury.

L’art étant l’imitation de la nature par le moyen de la pensée, il arrive nécessairement que telle idée peut déterminer l’artiste à imiter la nature dans un sens plutôt que dans un autre. Aussi les idées religieuses, les idées de guerre et de désordre, les idées de paix et de plaisir, peuvent, selon qu’elles dominent plus ou moins, inspirer une série d’œuvres pareilles, bien qu’exécutées dans des sentimens différens. C’est le vent qui passe sur les trente cordes d’une harpe, et en tire, s’il est fort, trente harmonies diverses, mais toutes terribles ; et s’il est doux, trente mélodies différentes, mais toutes gracieuses. Ces réflexions nous conduisent à dire par quelles idées les imaginations ont été le plus remuées cette année au Salon. Or, à considérer les sujets traités par les intelligences supérieures, et à compter la foule des imitateurs, ce sont les idées religieuses qui ont eu le plus d’influence sur le cerveau des artistes. Le nombre des tableaux de sainteté surpasse même celui des tableaux de batailles ; les truands et toute la laideur du moyen-âge ont disparu. Les ailes blanches des anges effacent par leur éclat l’acier des cuirasses et la splendeur des uniformes. Comment expliquer ce nouvel empire des idées religieuses ? Cela est difficile. Peut-être, lasses de la violence et du choc des rues, les imaginations se réfugient-elles dans les idées religieuses, comme aux sources d’inspiration les plus profondes et les plus poétiques ? Peut-être aussi