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SALON DE 1837.

pareils à un maître dont nous admirons le haut sentiment et dont nous reconnaissons les éclatans services, ils arrivent à faire d’un torse charnu un morceau d’anatomie pénible à voir, d’une composition vivante et animée un tableau terne et sans vie. Nous voulons qu’ils ressemblent au divin Raphaël, qui, tout en poussant jusqu’à la plus haute puissance la qualité sublime qu’il avait reçue du ciel, le dessin, n’oubliait pas les progrès matériels de l’art et s’efforçait de plus en plus d’atteindre au charme et à la vérité de la couleur. Nous voulons qu’ils imitent le grand Rubens, qui, tout en lâchant la bride aux démons enflammés de la peinture, ne négligeait pas le dessin et arrivait à la beauté de l’idéal et à la simplicité de la composition dans sa magnifique Descente de Croix d’Anvers. Ô Raphaël ! ô Rubens ! splendides demi-dieux qui siégez aux deux pôles du monde de la peinture ! vous qui, dans des sentimens différens et sous des cieux divers, avez parcouru victorieux toute l’échelle de l’art ; vous qui avez exprimé la nature sous tous ses aspects ; qui avez formulé toutes les passions, toutes les joies, toutes les douleurs, tous les amours, toutes les haines ; vous qui avez plongé dans l’Océan, soufflé dans la conque des Tritons, et fait écumer les ondes ; vous qui avez fait frissonner les forêts, et voler la poussière sanglante des batailles ; vous qui, portés par l’aile du génie, avez plané sur l’histoire du monde depuis son commencement ; vous qui avez été les égaux et les amis des princes de la terre ; vous qui de la moindre plante, vous êtes élevés jusqu’au sanctuaire de Dieu ; vous qui avez enfin habité avec les prophètes et les chérubins de feu ; maîtres de l’art, jetez les yeux sur la France, et des rayons de vos nobles fronts illuminez sa face.

Si vous n’êtes pas les derniers mots de la peinture, si dans le vaste champ de l’art, il y a encore à glaner et même à moissonner après vous, si l’industrie ne doit pas nous couvrir entièrement de son manteau glacé, venez nous révéler les hautes vérités que vous avez comprises, ouvrez-nous la paupière, élargissez notre tête : faites que nous comprenions tous que vous pouvez régner ensemble sur l’empire de l’art, sans que l’un anéantisse l’autre ; que si le dessin est la base fondamentale de la peinture, sa partie la plus chaste et la plus idéale, la couleur en est le mouvement, la vie et la liberté ; que le but de l’art n’est pas seule-