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LES TEMPLIERS.

planait en quelque sorte par-dessus toute religion. L’Église datait, et le Temple ne datait pas. Contemporain de tous les âges, c’était comme un symbole de la perpétuité religieuse. Même après la ruine des templiers, le Temple subsiste, au moins comme tradition, dans les enseignemens d’une foule de sociétés secrètes, jusqu’aux rose-croix, jusqu’aux francs-maçons[1].

L’Église est la maison du Christ, le Temple celle du Saint-Esprit. Les gnostiques prenaient pour leur grande fête, non pas Noël ou Pâques, mais la Pentecôte, le jour où l’Esprit descendit. Jusqu’à quel point ces vieilles sectes subsistèrent-elles au moyen-âge ? les templiers y furent-ils affiliés ? De telles questions, malgré les ingénieuses conjectures des modernes, resteront toujours obscures, dans l’insuffisance des monumens[2].

Ces doctrines intérieures du Temple semblent tout à la fois vouloir se montrer et se cacher. On croit les reconnaître, soit dans les emblèmes étranges sculptés au portail de quelques églises, soit dans le dernier cycle épique du moyen-âge, dans les poèmes où la chevalerie épurée n’est plus qu’une odyssée, un voyage héroïque et pieux à la recherche du Graal. On appelait ainsi la sainte coupe qui reçut le sang du Sauveur. La simple vue de cette coupe prolonge la vie de cinq cents années. Les enfans seuls peuvent en approcher sans mourir. Autour du temple qui la contient, veillent en armes les templistes ou chevaliers du Graal.

Cette chevalerie plus qu’ecclésiastique, ce froid et trop pur idéal, qui fut la fin du moyen-âge et sa dernière rêverie, se trouvait, par sa hauteur même, étranger à toute réalité, inaccessible à toute pratique. Le templiste resta dans les poèmes, figure nuageuse et quasi-divine. Le templier s’enfonça dans la brutalité.

Je ne voudrais pas m’associer aux persécuteurs de ce grand ordre. L’ennemi des templiers les a lavés sans le vouloir ; les tortures par lesquelles il leur arracha de honteux aveux semblent

  1. Il est possible que les templiers qui échappèrent se soient fondus dans des sociétés secrètes. En Écosse, ils disparaissent tous, excepté deux. Or, on a remarqué que les plus secrets mystères de la franc-maçonnerie sont réputés émanés d’Écosse, et que les hauts grades y sont nommés écossais. Voyez Grouvelle et les écrivains qu’il a suivis, Munter, Moldenhawer, Nicolaï, etc.
  2. Voyez Hammer, Mémoire sur deux coffrets gnostiques, pag. 7. — Voyez aussi le Mémoire du même dans les Mines d’Orient, et la réponse de M. Raynouard. (Michaud, Hist. des croisades, édit. 1828, tom. v, pag. 572.)