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LES TEMPLIERS.


crimes des accusés, que le pape devrait plutôt exciter les évêques.

Ce serait une grave injure aux prélats de leur ôter le ministère qu’ils tiennent de Dieu. Ils n’ont pas mérité cet outrage ; ils ne le supporteront pas ; le roi ne pourrait le tolérer sans violer son serment… Saint père, quel est le sacrilége qui osera vous conseiller de mépriser ceux que Jésus-Christ envoie, ou plutôt Jésus lui-même ?… Si l’on suspend les inquisiteurs, l’affaire ne finira jamais… Le roi n’a pas pris la chose en main comme accusateur, mais comme champion de la foi et défenseur de l’Église, dont il doit rendre compte à Dieu[1]. »

Philippe laissa croire au pape, qu’il allait lui remettre les prisonniers entre les mains ; il se chargeait seulement de garder les biens pour les appliquer au service de la Terre-Sainte (25 décembre 1307). Son but était d’obtenir que le pape rendît aux évêques et aux inquisiteurs leurs pouvoirs, qu’il avait suspendus. Il lui envoya

    Baphometi, ajoute : « Et illam adoravit osculando sibi pedes, dicens yalla, verbum Saracenorum. »

    M. Raynouard (p. 301) regarde le mot Baphomet dans ces deux dépositions comme une altération du mot Mahomet donné par le premier témoin ; il y voit une tendance des inquisiteurs à confirmer ces accusations de bonne intelligence avec les Sarrasins, si répandues contre les templiers. Alors il faudrait admettre que toutes ces dépositions sont complètement fausses et arrachées par les tortures, car rien de plus absurde sans doute que de faire les templiers plus mahométans que les mahométans qui n’adorent point Mahomet. Mais ces témoignages sont trop nombreux, trop unanimes et trop divers à la fois. (Rayn. p. 232, 237 et 286-302.)

    Au reste ces témoignages sont loin d’être accablans pour l’ordre. Tout ce que les templiers disent de plus grave, c’est qu’ils ont eu peur, c’est qu’ils ont cru y voir une tête de diable, de mauffe (p. 290), c’est qu’ils ont vu le diable lui-même dans ces cérémonies, sous la figure d’un chat ou d’une femme. (P. 293-294.) Sans vouloir faire des templiers en tout point une secte de gnostiques, j’admettrais volontiers ici avec M. de Hammer une influence de ces doctrines orientales. Le Baphomet aurait été pour les gnostiques le Paraclet descendu sur les apôtres en forme de langues de feu. Le baptême gnostique (baphomet de bapto ?) était en effet un baptême de feu. Peut-être faut-il voir une allusion à quelque cérémonie de ce genre dans ces bruits qui couraient dans le peuple, « qu’un enfant nouveau engendré d’un templier et une pucelle estoit cuit et rosty au feu, et toute la graisse ostée et de celle estoit sacrée et ointe leur idole. » (Chronique de Saint Denis, pag. 28). La prétendue idole ne serait-elle pas une représentation du Paraclet dont la fête (la Pentecôte) était la plus grande solennité du Temple ?

    Ces têtes, dont une devait se trouver dans chaque chapitre, ne furent point retrouvées, il est vrai, sauf une seule ; mais elle portait l’inscription liii. Quant à la tête saisie au chapitre de Paris, ils la firent passer pour un reliquaire, la tête de l’une des onze mille vierges. (Rayn., pag. 229.) Cependant elle avait une grande barbe d’argent.

  1. Dupuy ne donne point cette lettre en entier ; probablement elle ne fut point envoyée, mais plutôt répandue dans le peuple.