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LES TEMPLIERS.

servant qu’il chargeait de parler pour lui. Mais lorsqu’il fut devant la commission, et que les gens d’église lui lurent à haute voix ces tristes aveux, le vieux chevalier ne put entendre de sang froid de telles choses dites en face. Il fit un signe de la croix, et dit que si les seigneurs commissaires du pape[1] eussent été autres personnes, il aurait eu quelque chose à leur dire. Les commissaires répondirent qu’ils n’étaient pas gens à relever un gage de bataille. — « Ce n’est pas là ce que j’entends, dit le grand-maître ; mais plût à Dieu qu’en tel cas on observât contre les pervers la coutume des Sarrazins et des Tartares ; ils leur tranchent la tête ou les coupent par le milieu. »

Cette réponse fit sortir les commissaires de leur douceur ordinaire. Ils répondirent avec une froide dureté : « Ceux que l’Église trouve hérétiques, elle les juge hérétiques, et abandonne les obstinés au tribunal séculier. »

Un des principaux agens de Philippe-le-Bel, Plasian, assistait à cette audience, sans y avoir été appelé. Jacques Molay, effrayé de l’impression que ses paroles avaient produite sur ces prêtres, crut qu’il valait mieux se confier à un chevalier. Il demanda la permission de conférer avec Plasian ; celui-ci l’engagea, en ami, à ne pas se perdre, et le décida à demander un délai jusqu’au vendredi suivant. Les évêques le lui donnèrent, et ils lui en auraient donné davantage de grand cœur.

Le vendredi, Jacques Molay reparut, mais tout changé. Sans doute Plasian l’avait travaillé dans sa prison. Quand on lui demanda de nouveau s’il voulait défendre l’ordre, il répondit humblement qu’il n’était qu’un pauvre chevalier illettré ; qu’il avait entendu lire une bulle apostolique où le pape se réservait le jugement des chefs de l’ordre ; que, pour le présent, il ne demandait rien de plus.

On lui demanda expressément s’il voulait défendre l’ordre. Il dit que non ; il priait seulement les commissaires d’écrire au pape qu’il le fît venir au plus tôt devant lui. Il ajoutait avec la naïveté de l’impatience et de la peur : « Je suis mortel, les autres aussi ; nous n’avons à nous que le moment présent. »

Le grand-maître, abandonnant ainsi la défense, lui ôtait l’unité

  1. M. Raynouard dit les cardinaux, mais à tort.