Page:Revue des Deux Mondes - 1837 - tome 10.djvu/315

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
305
LES TEMPLIERS.

tats fussent mis sous bonne garde jusqu’à ce qu’il apparût s’ils avaient porté un vrai témoignage.

Ils auraient voulu encore qu’aucun laïque n’assistât aux interrogatoires. Nul doute en effet que la présence d’un Plasian, d’un Nogaret, n’intimidât les accusés et les juges.

Ils finissent par dire que la commission pontificale ne peut aller plus avant : « car enfin nous sommes et avons toujours été au pouvoir de ceux qui suggèrent des choses fausses au seigneur roi. Tous les jours, par eux ou par d’autres, de vive voix, par lettres ou messages, ils nous avertissent de ne pas rétracter les fausses dépositions qui ont été arrachées par la crainte ; qu’autrement nous serons brûlés. »

Quelques jours après, nouvelle protestation, mais plus forte encore, moins apologétique que menaçante et accusatrice. « Ce procès, disent-ils, a été soudain, inique et injuste ; ce n’est que violence atroce, intolérable erreur. Dans les prisons et les tortures, beaucoup et beaucoup sont morts ; d’autres en resteront infirmes pour leur vie ; plusieurs ont été contraints de mentir contre eux-mêmes et contre leur ordre. Ces violences et ces tourmens leur ont totalement enlevé le libre arbitre, c’est-à-dire tout ce que l’homme a de bon. Qui perd le libre arbitre perd tout bien, science, mémoire et intellect… Pour les pousser au mensonge, au faux témoignage, on leur montrait des lettres où pendait le sceau du roi, et qui leur garantissaient la conservation de leurs membres, de la vie, de la liberté ; on promettait de pourvoir soigneusement à ce qu’ils eussent de bons revenus pour leur vie ; on leur assurait d’ailleurs que l’ordre était condamné sans remède… »

Quelque habitué que l’on fût alors à la violence des procédures inquisitoriales, à l’immoralité des moyens employés communément pour faire parler les accusés, il était impossible que de telles paroles ne soulevassent les cœurs. Mais ce qui en disait plus que toutes les paroles, c’était le pitoyable aspect des prisonniers, leur face pâle et amaigrie, les traces hideuses des tortures… L’un d’eux, Humbert Dupuy, le quatorzième témoin, avait été torturé trois fois, retenu trente-six semaines au fond d’une tour infecte, au pain et à l’eau. Un autre avait été pendu par les parties génitales. Le chevalier Bernard Dugué (de Vado), dont on avait tenu