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feuilles du tilleul voisin (toujours de gaies images), Jasmin passe une partie de ses nuits à lire, à rêver, à versifier déjà. Il lit avec délices Florian, Ducray-Duminil ; la misère est oubliée ; l’hôpital, la besace, l’anneau, ont disparu de sa mémoire. Le chantre du Gardon surtout l’ensorcèle, et, nouveau Némorin, il essaie, pour Estelle, des vers en ce doux patois qu’elle parlait si bien. Son rasoir allait, à travers ses pensées, comme il pouvait, et un peu au hasard sur les mentons. Ce chant est rempli de la peinture légère de la double vie poétique et amoureuse aussi qui le partage, et qui, cependant, ne l’empêche bientôt pas d’ouvrir son petit salon, pour son compte, sur la belle promenade du Gravier, et de prospérer d’abord doucement, par la frisure. Tout ce détail que j’omets, est plein de légèreté et d’agrément. La fortune se fait d’abord un peu prier ; le salon n’est pas tout-à-fait plein, il n’est pas vide non plus, et, comme dit le proverbe : S’il ne pleut pas, il bruine. Bref, les papillotes, les chansons, attirent dans la boutique un petit ruisseau si argentin, qu’en son ardeur poétique, Jasmin met en pièces le fauteuil redouté où tous ses pères se sont fait porter à l’hôpital ; lui, au lieu de l’hôpital, il est allé chez un notaire, et finalement, le premier de sa famille, il a vu son nom briller sur la liste du collecteur. Quel honneur ! trop honneur !


Il faut en payer la rente,
Et, chaque an, je suis confus,
De voir que mon chiffre augmente,
Même en n’ayant rien de plus.


Sa femme, née dans la même condition que lui, mais d’esprit naturel, d’imagination, et d’un parler pittoresque, sa femme, qui d’abord était ennemie jurée des vers et lui cachait plumes et papier, maintenant qu’elle sait le prix de la rime, lui offre toujours, d’un air gracieux, la plume la plus fine et le papier le plus doux :« Courage, dit-elle ; chaque vers, c’est une tuile que tu pétris pour achever de couvrir la maison. » Et toute la famille lui crie : « Fais des vers, fais des vers. »

Depuis qu’il fait des vers, en effet, Jasmin, pour parler en prose, grace au bon débit de ses productions et à l’intérêt bien entendu qu’y ont mis les Agenais, a pu, sans quitter son état,