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POÈTES ET ROMANCIERS MODERNES DE LA FRANCE.

devenir propriétaire de la maison qu’il habite et obtenir une petite aisance, qui paraît le comble de ses vœux.

Son premier poème, publié en 1825, le Charivari, est un poème burlesque, qui a pour héros le sensible Oduber, veuf et vieux, qui songe à se remarier Mes souvenirs du Lutrin y sont entrés sans beaucoup de déguisement. Le poème est précédé d’une belle ode à M. Dupront, avocat, homme du pays, de grand talent au barreau, et qui eût été poète lui-même, m’assure-t-on, si une sorte de paresse naturelle ne l’eût retenu. L’ode que Jasmin lui adresse a de l’ampleur, de l’harmonie et une beauté sérieuse. Une strophe, dans laquelle il célébrait l’avènement de Charles X, lui a été depuis rappelée par M. Dupront, dans le Mémorial agenais, et Jasmin s’est lavé du reproche d’inconséquence. Jasmin, en effet, est un libéral de la restauration, et aujourd’hui il est ce qu’on appelle un homme du mouvement. Mais ses passions généreuses ne s’appuient pas sur des doctrines bien méditées. Le mot de Charles X, plus de hallebardes, lui avait été au cœur, et il y avait cru. La partie politique de son recueil est celle qui a le moins d’originalité : la langue d’abord en devient aisément toute française, car le patois n’a point, dans son fonds, ce vocabulaire moderne. De plus, les souvenirs des chansons de Béranger y abondent, et la liberté de juillet elle-même, d’après Jasmin, ne semble pas très différente de celle qui se dresse, si reconnaissable, dans les vers de M. Auguste Barbier. Distinguons pourtant, en cet ordre de pièces, un très beau chant, intitulé : les Oiseaux voyageurs, ou les Polonais en France, qui respire le pathétique et qui atteint au sublime dans sa simplicité. Jasmin a adressé, en 1832, une pièce de vers français à Béranger, son patron naturel en notre littérature ; ces vers faciles et corrects, mais communs, prouveraient, s’il en était besoin, que le français est, pour Jasmin, une langue acquise, et que la couleur, l’image, la pensée, lui viennent en patois.

Il ne faut pas d’ailleurs s’exagérer l’instinct et la naïveté ignorante de l’aimable poète. Jasmin a du feu, de l’entraînement sans doute ; il a besoin de la passion actuelle pour arriver au bien : mais il travaille, il travaille opiniâtrement, dit-on ; il lime ses vers, il rejette, il choisit, il a un art de style enfin. Nous sommes trop incompétent au sujet de cette langue, que nous n’avons saisie qu’à l’aide d’amis obligeans, pour avoir un avis sur ce que peut