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POÈTES ET ROMANCIERS MODERNES DE LA FRANCE.

Le dernier et le plus remarquable poème de Jasmin, l’Aveugle de Castel-Cuillé, offre, plus qu’aucun des précédens, le caractère de sensibilité et de pathétique au milieu des graces conservées d’une muse légère. Une tradition populaire du pays en a fourni le sujet au poète ; mais il a su y élever une composition soutenue, graduée, délicate et touchante, qui le classe, à bon droit, parmi les plus vrais talens en vers de notre temps. La poésie franche y embaume à l’ouverture du premier chant

« Du pied de cette haute montagne, où se dresse Castel-Cuillé, dans la saison où le pommier, le prunier et l’amandier blanchissaient dans la campagne, voici le chant qu’on entendit un mercredi matin, veille de Saint-Joseph :


Les chemins devraient fleurir,
Tant belle épousée va sortir ;
Devraient fleurir, devraient germer,
Tant belle épousée va passer.


Et le vieux Te Deum des humbles mariages semblait descendre des nues, quand tout d’un coup une grande troupe de jeunes filles au teint frais, propres comme l’œil, chacune avec son fringant, viennent sur le bord du rocher entonner le même air, et là, semblables, tant elles sont voisines du ciel, à des anges rians qu’un Dieu aimable envoie pour faire leurs gambades et nous apporter l’allégresse, elles prennent leur élan, et bientôt dévalant par la route étroite de la côte rapide, elles vont en zig-zag vers Saint-Amant, et les volages, par les sentiers, comme des folles, vont en criant :


Les chemins devraient fleurir,
Tant belle épousée va sortir, etc.


C’est Baptiste et sa fiancée qui allaient chercher la jonchée[1]… »


Jamais gaieté nuptiale de jeunes garçons et de jeunes filles n’a été exprimée dans un rhythme plus dansant, dans une langue plus vive, plus claire de sons et d’images, plus fringante elle-même et plus guillerette, pour ainsi dire. Mais continuons, en supprimant à regret bien des détails dont aucun n’est superflu :

  1. Coutume du pays : on va chercher au bois des branches d’arbres, et surtout de laurier, qu’on jette ensuite sur le chemin de l’église et à la porte des conviés.