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REVUE. — CHRONIQUE.

Telle est la situation du ministère et de la chambre, où nous avons eu le singulier spectacle de vingt doctrinaires, parmi lesquels on distingue M. Duchesne, votant contre le projet de loi de dot de la reine des Belges, et donnant à la famille royale ce témoignage de respect et d’affection, tandis que quelques membres de la gauche déposaient des boules blanches dans l’urne.

Comment donc concilier ces votes avec l’influence incontestée de M. Guizot au sujet duquel une feuille, rédigée par ses amis, se livrait hier encore à ces déclamations : « Oh ! que s’il eût été ministre, s’il avait eu l’honneur d’être responsable des brèches faites au trône par d’indignes calculs de comptoirs, des affronts qu’on lui faisait subir sur cet autre lit de Procuste ; oh ! comme l’on aurait entendu l’homme à la parole grave s’élever de toute la puissance de sa raison, de toute sa vénération pour le trône, de toute l’indignation de son patriotisme, contre cette honteuse parcimonie… » — En vérité, les amis de M. Guizot sont bien peu habiles, et l’on serait en droit de lui demander, après ces plaintes si plaisamment véhémentes, s’il n’a de vénération pour le trône que lorsqu’il fait partie d’un ministère, et si l’indignation de son patriotisme ne s’élève que lorsqu’elle est stimulée par la possession du pouvoir ? Autrement qui l’empêchait de joindre son indignation à celle que M. de Montalivet a fait éclater, en termes assez vifs, ce nous semble, contre M. de Cormenin, et quelle considération l’a fait se dérober volontairement à cette occasion unique peut-être de confondre la calomnie, comme dit la Paix, que nous citons ? car enfin, il ne s’agissait pas ici du ministère, mais du trône, et le silence de M. Guizot pourrait faire douter de cette vénération et de ce dévouement dont on fait tant d’étalage en son nom.

Si l’on veut mieux juger encore la situation du cabinet actuel, c’est dans les journaux du parti doctrinaire qu’on peut apprendre à la connaître. Dans leur empressement à frapper sur ce ministère, qu’ils espèrent renverser au bénéfice d’un cabinet de pur sang, comme on dit, c’est-à-dire de l’expression la plus nerveuse du système d’irritation et d’intimidation, ils frappent sans cesse sur eux-mêmes, et avec moins de ménagement que ne feraient leurs plus ardens ennemis. Tel est l’effet de l’exagération et de la partialité. Les votes de la chambre, en faveur du cabinet, ne s’enlèvent, selon les organes du parti, qu’à force de maladresse et d’incapacité de la part du ministère ; la prostration de l’autorité gouvernementale irrite et afflige à la fois la chambre, et dans la discussion de la dot de la reine des Belges, et des crédits d’Alger, ç’a été, à les entendre, un concert général de douleur et de consternation. Après ce lugubre tableau, il n’y a plus qu’à se voiler la tête, et attendre la fin du monde avec résignation !