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M. Passy, sans entrer dans la discussion des moyens proposés par le pétitionnaire, a demandé en outre, attendu l’importance du sujet, le renvoi de cette pièce au président du conseil. Ce renvoi a été ordonné après une discussion dans laquelle M. Guizot, ministre de l’instruction publique, répondant à quelques questions de M. Passy sur les mesures dont le gouvernement pourrait s’occuper pour préparer l’abolition de l’esclavage, s’est expliqué en ces termes :

« Messieurs, je remercie l’honorable préopinant de la réserve, de la prudence avec lesquelles il vient de s’exprimer. C’est ici une de ces questions dans lesquelles les paroles sont aussi délicates, aussi périlleuses, je dirais volontiers plus délicates, plus périlleuses que les actions mêmes.

« Il y a certainement, quant à l’ordre social dans les colonies, une œuvre grande et belle à accomplir. (Très bien ! très bien !) Le gouvernement a à cœur de l’accomplir… (Nouvelle adhésion.) il n’a point cessé, il ne cessera point de s’en occuper. D’importantes améliorations ont déjà été introduites dans le régime des colonies, et pour les colons eux-mêmes et pour les esclaves. À la suite de ces améliorations, de grandes et plus épineuses questions s’élèvent. Non-seulement le gouvernement les étudie de concert avec les autorités coloniales, soit les gouvernemens, soit les conseils coloniaux, de concert avec les délégués des colonies à Paris ; non seulement, dis-je, il les étudie, mais il prépare des mesures qui, il l’espère, amèneront un bon résultat. Mais ces mesures doivent être préparées avec beaucoup de temps, de lenteur, et une discussion publique prématurée, une discussion qui précéderait de beaucoup l’action, nuirait à l’efficacité paisible des mesures plutôt qu’elle ne les servirait. Je prie donc la chambre de permettre que je m’en tienne à cette assertion générale, et de ne pas me demander d’entrer dans le détail des mesures. »

M. Isambert rapporte qu’ayant abordé M. Guizot après les paroles prononcées par lui à la tribune, ce ministre lui dit qu’il ne pouvait fixer l’époque où les mesures annoncées par le gouvernement seraient promulguées, mais que certainement on ne les attendrait pas jusqu’à la session prochaine.

M. Billiard fait connaître que les esclaves ont repris une valeur à Bourbon, et qu’ils s’y vendent encore de 200 à 260 piastres, tant on est persuadé que le gouvernement français apportera tous les retards possibles à l’émancipation des nègres.

M. Odilon Barrot demande s’il est permis de supposer que les conseils coloniaux s’occuperont spontanément de quelques améliorations réelles.

On n’a jamais rien obtenu de favorable à cette cause des habitans des colonies anglaises, dit M. Passy, et si le gouvernement anglais avait attendu leur bon vouloir, le bill de 1833 n’eût point été porté.

Sur l’observation d’un autre membre que l’on redoute toute initiative de la métropole, parce qu’on a sans cesse devant les yeux l’exemple de Saint-Domingue, M. Passy répond encore : Les faits de Saint-Domingue sont mal connus : c’est l’initiative prise en ce pays par l’aristocratie coloniale pour réprimer les prétentions des hommes de couleur libres, c’est l’appel qu’elle a fait aux noirs contre les mulâtres, et non point les mesures de la métropole, qui ont été cause des massacres.