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LA PRESSE FRANÇAISE.

La Critique de la raison pure, le seul ouvrage de Kant qui fasse autorité dans son école, est une méthode de logique dont la puissance est seulement négative. Le maître a révélé la loi du mécanisme psychologique : il a constitué le moi humain, laissant à ses disciples la tâche de mettre le moi en rapport avec le non-moi. On nous pardonnera, nous l’espérons, ce langage barbare que nous n’employons pas sans répugnance. Fichte aborde le premier la question ontologique : il décide bravement que le moi est identique au non-moi, en ce sens que le moi s’apparaît à lui-même sous une forme idéale dans le monde extérieur. De cette façon, dit Fichte, par la voix de M. Barchou, le monde existe, mais non pas avec cette sorte de réalité matérielle que nous lui avons attribuée : il sort des abîmes de l’intelligence humaine ; sa forme et son existence ne sont qu’intellectuelles. L’importance et la dignité morale de l’homme ne font que gagner à ce dernier point de vue. L’homme n’est plus seulement le propriétaire et l’habitant du monde, il en est, en quelque sorte, le créateur, le souverain, le dieu (tome i, p. 362). » Après cette magnifique découverte, nous n’avons pas été peu surpris de lire plus loin (tome ii, p. 16), que « la doctrine de Fichte n’embrassait pas dans son entier l’esprit allemand. » Mais aussitôt paraît Schelling, qui révèle à ses compatriotes l’identité absolue, substantielle du moi et du non-moi ! Voici la formule de cette nouvelle doctrine : — L’absolu, le tout primitif, se manifeste à l’individu, dans la nature, et se développe simultanément dans l’ordre réel et dans l’ordre idéal. Ce qui veut dire en français que la matière inerte ou organisée, l’instinct de la brute ou l’élan sublime de la pensée humaine, ne sont que des évolutions variées d’une seule et même substance ! L’homme est un monde en abrégé, en qui se réfléchissent les merveilles de l’univers entier. Enfin l’absolu, se saisissant, se sachant, se comprenant en tant qu’absolu, tel est, suivant M. Schelling, le dernier mot de la philosophie !

Les mauvais disciples qui ne parvinrent pas à saisir l’absolu de Schelling firent la fortune de Hegel. Celui-ci « fondit au feu de sa logique l’idéalisme, le criticisme, l’art, le naturalisme, la religion, l’état, l’histoire, que sais-je encore ? s’écrie M. Barchou de Penhoën (t. ii, p. 243). » À la vérité, le programme de Hegel était séduisant. « Dieu, disait-il, en tant qu’esprit, ne diffère en rien de l’esprit de l’homme. Il est cet esprit même ; il se manifeste par l’intelligence humaine. Dieu existe donc parmi nous, mêlé à nous, au-dedans de nous. Pour nous, Dieu est en tout et partout (tome ii, p. 132). » Comme ses devanciers, Hegel se déclare adversaire du dualisme en philosophie, c’est-à-dire de la pluralité des substances. Pour lui, le mot idée et substance sont synonymes. Écoutez-le : « L’idée ou la notion est ce qui est ; l’idée est la substance vivante qui, au