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le savant auteur de l’Examen critique ne lui eût prêté involontairement quelque vraisemblance. En suivant le développement progressif de la pensée de Colomb, M. de Humboldt démontre que ce dernier a puisé son érudition classique et sa conviction morale dans les œuvres de Pierre d’Ailly, qu’il invoque à tous propos. Or n’est-il pas présumable que Pierre d’Ailly, né à Compiègne, évêque de Cambrai, confesseur du roi dont le navigateur était le chambellan, a dû rencontrer ce dernier, soit à la cour, soit dans les provinces où l’un et l’autre résidaient habituellement ? Est-il possible que les mêmes vues n’aient pas rapproché l’homme de science et l’homme d’action ? Il est à noter encore que des chroniqueurs portugais et espagnols attribuent aux succès de Béthencourt le zèle de Henri de Portugal pour l’avancement de l’astronomie et de la navigation ; et ce savant prince avait quelque raison sans doute de prendre pour devise ces mots français : Talent de bien faire, que les aventuriers portugais s’empressaient de graver sur la pierre et l’écorce, dès qu’ils avaient mis le pied sur un sol nouveau.

Cette conjecture historique ne serait peut-être pas indigne de la lumineuse critique que M. de Humboldt sait répandre abondamment sur tous les autres points. Lui seul en effet pouvait réunir autant de matériaux éprouvés pour l’un des plus intéressans chapitres de l’histoire moderne. Malheureusement, il y a peu de méthode dans leur emploi. La dissertation principale disparaît en quelque sorte sous les notes qui devraient l’éclairer, et l’attention partagée pourrait à la longue céder à la fatigue, si elle n’était constamment surexcitée par la magnificence du sujet.

Le dévouement à la science n’est plus, comme autrefois, exposé à l’ingratitude. Il y a trois ans à peine que le capitaine Back[1] reçut du gouvernement britannique la mission de chercher la trace du capitaine Ross qu’on croyait perdu, tout en poursuivant l’exploration des régions inconnues dans le nord-est de la pointe extrême du continent américain, et déjà les géographes ont donné le nom du navigateur anglais à la grande rivière du Poisson (Thlew-ee-choh en langue indienne), immense cours d’eau qui se précipite sur une longueur de cinq cent trente milles géographiques, à travers une contrée que pas un arbre n’égaie, qui parfois s’épanche en vastes lacs dont l’horizon de ciel et d’eau déroute le navigateur, et qui, après avoir franchi des chutes, des cascades, des rapides au nombre de quatre-vingt-trois, se décharge enfin dans la mer polaire, vers le soixante-septième degré de latitude nord. Il ne faut plus demander aujourd’hui aux relations de voyages l’intérêt romanesque qui s’attachait

  1. Voyage aux régions arctiques en 1834 et 1835, 2 vol. in-8o avec cartes. Chez Arthus Bertrand, rue Hautefeuille, 23.