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LA PRESSE FRANÇAISE.

rites chrétiens ; pour tout dire en un mot, tous divisés de foi et de loi ? L’établissement et la splendeur des Ottomans ne sont vraiment qu’un fait transitoire et exceptionnel. Les succès militaires n’ont rien de surprenant avec des chefs comme Mahomet II, qui punissent à l’égal d’un crime le moindre revers, qui poussent en avant leurs soldats en braquant derrière eux leurs monstrueux canons, qui irritent les instincts féroces par la promesse du pillage, qui attirent les aventuriers de l’Europe par la chance d’une merveilleuse fortune ; car, suivant la remarque de M. de Hammer, sur dix grands visirs nommés par Souleiman, huit étaient des renégats, ainsi que tous les hommes remarquables du même temps. Que les sauvages traditions du conquérant se soient conservées pendant quatre règnes et l’espace d’un siècle, c’est déjà merveille ; mais une énergie qu’aucune source morale ne ravivait a dû s’affaisser à la longue. Le temps, qui use tout, a émoussé le tranchant du sabre ; il ne faut pas chercher d’autre cause à la décadence d’un empire dont le sabre seul a tracé les limites.

Une crise dernière est assez imminente aujourd’hui pour occuper tous les cercles politiques. Quand sonnera l’heure fatale, que deviendra le plus riche sol de l’Europe ? Relèvera-t-on en faveur d’une dynastie nouvelle le trône de Constantin ? Ou bien, si l’on partage le territoire au profit des états limitrophes, comment offrir aux autres puissances une compensation assez forte pour conserver l’ancienne fiction des équilibristes politiques ? Ce sont là des difficultés qui semblent menacer l’avenir d’une crise sanglante. Il se trouve pourtant des publicistes qui n’admettent pas ces tristes prévisions, et qui prétendent avoir découvert dans le régime ottoman des conditions de force et de durée inaperçues avant eux. Telle est la thèse soutenue dans un ouvrage, ou plutôt en deux mémoires réunis sous ce titre : La Turquie, ses ressources, son organisation municipale et son commerce[1]. La plus importante moitié appartient à M. David Urquhart, secrétaire de l’ambassade anglaise à Constantinople, et en grande faveur aujourd’hui auprès du divan. L’introduction, qui forme le premier volume, est d’un auteur anonyme dont les sympathies sont françaises. Ce dernier, après avoir mis en contraste les institutions, les croyances et les mœurs de l’Orient et de l’Occident, admet fort légèrement que la différence du régime social, si tranchée entre ces deux régions, tient, comme un attribut naturel, à des causes locales et invariables ; qu’en conséquence, ces deux mondes doivent renoncer à se modifier l’un l’autre, mais, au contraire, aider par une bienveillante réciprocité, le développement du principe vital propre à chacun. Les

  1. Chez Arthus Bertrand, rue Hautefeuille, 23 ; 2 vol. in-8o avec carte. Prix : 16 fr.