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ment. L’ouvrage de M. Simon fait contraste avec le précédent par la précision du plan et par une impartialité de bon goût : la balance qu’il tient entre les deux peuples penche alternativement sans blesser jamais. Pour les côtés vulnérables de nos rivaux, comme la littérature, les arts, l’instruction supérieure, il atténue sa critique, et l’emprisonne, pour ainsi dire, en trois chapitres. Dans le reste du livre, ce n’est plus qu’un humble disciple qui vient étudier la grande science du comfort et les lois du mouvement industriel. Chose remarquable ! ce séjour chez nos voisins paraît avoir relevé aux yeux de l’observateur l’importance commerciale de la France. Après avoir passé en revue les objets divers des transactions mercantiles, il affirme, ce sont ses propres termes, que, si l’Angleterre peut, sur certains articles, nous faire une concurrence fâcheuse, sur beaucoup d’autres, à notre tour, nous prenons notre revanche, et qu’enfin, sur un grand nombre, les avantages sont compensés. Ces conclusions, confirmées par des documens statistiques, appellent l’attention des spéculateurs, et promettent au livre de M. Simon le succès qui, tôt ou tard, récompense les travaux utiles.

Comment et sous quelle forme parviendrons-nous à nous approprier les innovations de la race anglaise ? Tel est le programme inscrit par M. Michel Chevalier, en tête de ses Lettres sur l’Amérique du Nord[1]. La supériorité des Anglais se conserve principalement par le système perfectionné des communications, et par la science du crédit. On conçoit que ces deux élémens de la prospérité commerciale aient pris, dans le Nouveau-Monde, plus de développemens que partout ailleurs ; ils sont là des conditions d’existence. Disséminés sur un immense territoire, les Anglo-Américains sentent le besoin d’abréger les distances : trop jeunes pour avoir amassé les richesses réelles, souvent inactives en d’autres états, ils se procurent, par le crédit, un capital factice qui devient l’instrument du travail. En aucun pays, la fièvre industrielle n’a été plus ardente ; mais du moins en Amérique la spéculation s’ennoblit par son but et ses résultats. Elle entre en lutte contre une nature sauvage et indomptée ; elle sème dans les déserts qu’elle a conquis des villes, des ateliers, des écoles ; elle prépare, pour la civilisation de l’ancien monde, un vaste et somptueux théâtre ; elle apprend surtout aux nations exubérantes, que les contrées incultes, c’est-à-dire les deux tiers du globe, sont, pour l’intelligence et le travail, de véritables terres promises. Il faut en convenir, cette œuvre combinée de l’activité humaine et de la loi providentielle compose un magnifique ensemble ; et quand il arrive, comme aujourd’hui, qu’il soit décrit par un homme chez qui le jet poétique domine la science, il prend

  1. Chez Charles Gosselin, rue Saint-Germain-des-Prés, 9 ; 2 vol. in-8o. Prix : 16 fr.