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vre et il met en relief des trésors ignorés du vulgaire, et qui, pour être aperçus, ont besoin d’être cherchés long-temps et patiemment. Du moment que le poète tragique s’est résolu à ne contempler dans l’ame que la seule passion, il est naturel qu’il se plaise à l’orner d’une grandeur et d’une dignité sans lesquelles la passion se présente habituellement ; il est naturel qu’il idéalise la souffrance, précisément parce qu’il envisage la souffrance sans tenir compte des sentimens d’un autre ordre qui jouent un rôle important dans la vie humaine. Cet agrandissement de la douleur, loin d’être une violation de la vérité, n’est qu’une intelligence plus parfaite, une manifestation plus complète de cette partie déterminée de la vérité. À proprement parler, la tragédie est à la douleur ce que la statuaire est aux formes sensibles du modèle humain. La tragédie est donc une forme vraie.

Le comédie, telle que nous l’ont transmise les deux antiquités, telle que la France l’a continuée glorieusement dans la seconde moitié du xviie siècle, se propose l’étude et la peinture exclusive du ridicule. De même que la tragédie se résout à ne voir que la passion, la comédie se résout à ne voir que le ridicule. À la place de la sympathie, elle met la raison ; au lieu de pleurer sur les souffrances de la vie humaine, elle détourne ses yeux du spectacle de la douleur, et s’attache courageusement à découvrir les mobiles les plus mesquins de nos actions ; elle néglige à dessein les momens où l’ame exaltée atteint les cimes les plus hautes du dévouement, de l’abnégation, et se renferme dans l’analyse de l’amour de soi ; elle suit l’égoïsme humain à travers ses diverses métamorphoses. Qu’il s’appelle prudence ou économie, dévotion ou probité, elle sait le démasquer et lui donner son vrai nom. La comédie n’ignore pas que la vie, réduite à l’égoïsme, ne serait pas possible ; que l’amour de soi, clairvoyant et obstiné, perpétuerait la guerre ; et ferait de la société un supplice permanent. Aussi ne prétend-elle pas comprendre dans ses tableaux l’universalité de la conscience humaine. Mais ayant à choisir entre la passion et le ridicule, elle choisit le ridicule ; ce dernier côté de l’ame, moins grand en apparence que le premier, n’est cependant ni moins varié, ni moins animé, ni moins profond. Pour sonder toutes les misères, toutes les lâchetés de la vie ordinaire, pour découvrir et montrer les trahisons et les mensonges qui se cachent sous le nom de prudence